Les sens de la distance

Roger Brunet

Version légèrement modifiée d’un texte paru dans le recueil La Distance, objet géographique, dans la revue Atala n°12, 2009 du Cercle de réflexion universitaire du Lycée Chateaubriand, Rennes

La distance en géographie? Rien de plus simple en apparence: elle se mesure sur le terrain et sur la carte, elle apparaît sur toutes les routes et sur votre GPS. Mais quelle distance? Des kilomètres, ou du temps, ou de l’argent? Lequel économiser? Et pour quoi faire?

En vérité, ces mesures sommaires ouvrent un champ de réflexions plus étendu qu’il n’y paraît: celui de la dimension sociale de la distance, autrement plus riche que l’invocation d’insaisissables «métriques». Car il faut bien se demander ce que l’on entend au juste par distance, ce que l’on en fait, qui s’en sert et pourquoi; quel sens on lui donne. Et l’on verra que la distance géographique est le plus souvent une distance sociale.

Révélation de la distance

Le mot distance lui-même a pour racine sta, ce qui est là, le lieu. Dans di-stance il y a deux sta, deux objets-là, A et B, et un entre-deux: la distance est cet entre-deux, donc en soi un vide, un non-lieu. D’une certaine façon, elle n’existe pas, sauf comme source d’agacement, comme incommodité. C’est ainsi que l’ont vue bien des philosophes, tel Descartes[1]. Comme l’espace, et pour les mêmes raisons: l’espace fut étymologiquement le pas [pace] une absence, à franchir. En principe la distance a une dimension, l’espace deux (ou trois), mais distance et espace sont souvent synonymes, ne serait-ce que par le biais de l’espacement; l’espace entre deux mots de ce texte est un vide et une distance. Comme l’intervalle, qui est synonyme de distance («prenez vos distances», dit-on dans les alignements gymniques et militaires), et qui chez les Latins était la distance entre deux palissades (vallums).

Or, si l’on considère une distance comme autre chose qu’un vide, c’est que l’on a une raison, mille raisons. Chacune s’exprime dans un projet (pro-jet: ce que l’on jette devant soi). Quel projet? Ce peut être le mien, ou celui d’un autre, partenaire, ami, importun. Il en est de plusieurs sortes: aller d’un lieu à un autre, donc me trans-porter, ou me faire transporter; ob-tenir, tenir devant moi, quelque chose qui est là-bas, dans un autre lieu, donc faire venir — ou au contraire ex-pédier, en-voyer quelque chose, un objet, un message; ou bien encore prendre mes distances, mettre de la distance entre les autres et moi en vue de me protéger: me servir de la distance comme obstacle. Il est même des usages ludiques de la distance: je fais le «chemin des écoliers»; je me fixe une distance de 12 km pour ma randonnée pédestre, ou d’une heure pour ma course matinale, ou j’abats mes 500 km par jour en «faisant» l’Espagne en voiture. La distance a ses fétichismes.

Si l’on se fixe sur la distance, comme sur l’espace, avec les lieux qu’ils séparent et qu’ils unissent, la distance et l’espace prennent consistance. La distance apparaît alors par elle-même, et sous plusieurs aspects. En tant que défi: comment obtenir ce qui est là-bas, ou comment aller là-bas; en tant que difficulté, du temps, un coût, quelque chose à surmonter; parfois aussi comme une protection. Au point même que la distance peut transformer en simples bornes les deux lieux A et B qu’elle sépare et unit. En se manifestant, elle nie ce qu’elle sépare pour exister par elle-même. Ex-ister: encore le radical sta: c’est «sortir de là», se manifester, se réaliser.

Ce projet se réalise par une transaction (une action à travers l’étendue), et suppose un tra-jet (une traversée de l’étendue entre A et B). Alors la distance devient à son tour un sta, un objet-là: très précisément, un obstacle. L’obstacle, étymologiquement, c’est ce qui est là, devant soi: ob-, et à nouveau sta. Toute distance est un obstacle, op-posé à un désir, une ambition, un projet. Pour le réaliser il faut franchir la distance, ce qui se dit aussi vaincre la distance, donc la réduire jusqu’à l’annuler, quels qu’aient été les obstacles. De sorte que, dès que la distance existe et prend corps à la faveur de ce projet, la réalisation du projet tend à la faire aussitôt disparaître. Sans projet la distance n’a aucun sens, elle n’existe pas. Elle n’est que si elle implique une relation; mais c’est aussitôt pour l’annuler.

Dès que le projet se dirige vers l’action, la distance prend du sens: elle se révèle. La transaction implique des acteurs: vous, votre correspondant et le plus souvent d’autres, intermédiaires qui vous transportent, ou qui transportent pour vous des personnes, des objets ou des informations: visiteurs, fournisseurs, médias de toutes sortes. L’exécution du projet de transaction, la liaison pratique entre A et B, nécessitent des vecteurs: à la fois une voie, et un véhicule. Ces trois mots, vecteur, voie et véhicule ont pour racine commune wegh (se déplacer, transporter), la même d’ailleurs que pour le voyage, la voiture ou le wagon; wegh, c’est aller de sta en sta, franchir une di-stance entre deux choses-là, donc entre deux lieux. Et dès lors qu’il y a voie et véhicule, fût-ce vos jambes sur un sentier, ou même des ondes hertziennes, la distance prend consistance, et forme concrète. Acteurs et vecteurs représentent des efforts, donc un coût, et des risques — fatigue, panne, accident, bandits de grand chemin et pirates modernes.

La distance est orientée, par la position relative de A et B. Elle suit les formes du terrain, ou ruse avec elles en s’allongeant et en modifiant momentanément l’orientation, comme dans les lacets en montagne et les échangeurs autoroutiers. La voie fréquentée est construite, elle devient chaussée et finit par exiger des «œuvres d’art». Et elle se met à introduire ses propres lieux, ceux du trajet: les villages, les stations, les péages et les radars, les prés où les vaches vous regardent passer et la ferme qui les surveille. Elle se peuple de relais: l’une des lois de base du cheminement, et donc de la production et de l’organisation de l’espace géographique, tient à ce que tout mouvement implique une dépense d’énergie, et que l’énergie doit être périodiquement relancée. C’est une loi universelle, qui s’exprime dans des formes connues et d’une grande richesse géographique: aires de repos, relais de chevaux et auberges de poste, stations-service, péages, haltes nautiques, escales, stations de pompage, relais hertziens, etc. Elle fait naître des lieux, des commerces, et jusqu’à des villes. Ainsi la distance n’existe pas sans les lieux dont elle est l’intervalle, et sans les lieux qui la jalonnent. Nous sommes bien ici au cœur du domaine de la géographie: des lieux, des distances qui les séparent et des chemins qui les relient, des réseaux qui les associent à travers ces distances, des agrégats de lieux et de réseaux qui font les territoires.

Dans la pratique, la distance n’est pas symétrique. Vaincre la distance ne se fait pas indifféremment dans un sens ou dans un autre. L’aller et le retour ne se valent pas, même à trajet fixe: qu’il s’agisse de voyage d’agrément, de la distance entre domicile et travail ou entre domicile et sites de ressources (magasins, distractions, soins, etc.), ce n’est pas la même heure, pas la même charge, pas la même fatigue, pas la même tension, pas le même bonheur; jusqu’aux paysages parcourus qui n’ont pas la même allure et que l’on ne perçoit pas de la même façon. Les camions, les wagons et les navires n’ont pas les mêmes chargements selon le sens, les conduites d’eau, de pétrole ou de gaz sont rarement réversibles. Quantité de distances sont franchies en sens unique: non seulement celles que passent les marchandises, mais toutes celles qui impliquent des migrations non périodiques, changements de résidence et même de pays, exodes vrais ou supposés, déplacements qui jalonnent des parcours de carrière professionnelle ou de retraite.

Mesure de la distance

Si précis soient nos instruments de mesure, nos unités ou nos cartes, la distance physique entre deux lieux ne se saisit pas de façon simple. Prenez l’exemple de la distance du village de vallée à la station de ski, ou de deux villages en pays accidenté. Sur la carte on peut mesurer la distance «à vol d’oiseau»; mais elle ne tient pas compte de la différence d’altitude. La vraie distance physique est donc plus longue, pythagoricienne: elle s’augmente de la pente et devient hypoténuse, c’est celle que donnerait le téléphérique. La distance à franchir est cependant celle des voies offertes: le sentier ou la route en lacets, qui biaise avec la difficulté, et allonge considérablement le parcours pour réduire la difficulté. Cela représente des temps très différents, et inégaux, pouvant varier de un à dix, ou plus, pour deux mêmes points: selon la voie, selon que vous montez ou que vous descendez, selon l’heure et le temps qu’il fait. Et des coûts également différents. Il en est de même pour une distance sur un littoral indenté, selon que l’on chemine par terre ou par mer, sur la côte ou par l’intérieur, etc.; ou selon que vous prenez ou non l’autoroute à péage; ou selon que vous passez par le centre-ville ou que vous empruntez la voie de contournement, plus longue mais plus «rapide» et qui réduit les nuisances pour les habitants du lieu.

Les géographes sont loin de se limiter aux distances euclidiennes. Ils savent depuis toujours que la distance en montagne se compte en heures, non en kilomètres. De nombreux travaux ont traduit en calculs et en cartes le fait bien connu des usagers, à savoir que les déplacements domicile-travail, ainsi d’ailleurs que d’autres déplacements courants, se pensent fondamentalement en durée. On accepte, ou non, une durée de trajet déterminée. Des études sérieuses ont montré qu’en moyenne les temps de déplacement acceptés sont très stables depuis plusieurs décennies, la diffusion de l’automobile ayant modifié la distance kilométrique: l’espace, non le temps. Le coût est une autre base de calcul et de décision, qui tend à l’emporter quand augmentent l’usage du véhicule individuel et le prix de l’énergie.

Les géographes dessinent volontiers des cartes en isolignes: c’est-à-dire dont tous les points ont la même valeur. Ils ne se contentent pas de cartes d’isothermes (même température) ou d’isohypses (même altitude): il y a des décennies qu’ils dessinent aussi des cartes d’isochrones (c’est la distance-temps), ou d’isovales (distance-coût). C’était facile en cas de transport homogène, ce qui est plus loin physiquement demandant en principe un peu plus de temps et un peu plus d’argent que ce qui est plus près. Cela devient un peu plus compliqué quand les tarifs changent en fonction des volumes livrés (gros ou détail). Les problèmes deviennent difficiles et intéressants quand la voie ou le véhicule change, quand apparaissent les autoroutes et les trains rapides: certaines villes «proches» sur la carte deviennent plus distantes que d’autres; alors l’espace représenté n’est plus plan, et se met à faire des plis.

Les géographes ont également proposé des cartes en anamorphose, présentant par exemple l’accessibilité relative des villes d’un réseau entier, par train, avion ou autoroute, en temps ou en coût: le carroyage habituel des coordonnées de la carte est alors déformé selon la distance-temps, ou la distance-coût; les carreaux sont d’autant plus grands que le temps ou le coût sont élevés, et peuvent être ainsi étirés ou comprimés. Cela permet d’intéressantes comparaisons visuelles, et peut servir d’aide à la décision… Néanmoins, si savants soient les calculs, toutes ces représentations n’ont précisément d’autre chemin que de réintroduire une expression euclidienne de la distance, à deux dimensions linéaires sur la page.

La distance elle-même n’est pas une dimension: elle a des dimensions, qui changent selon les points de vue. Il est bien des façons de les représenter. Surtout, les acteurs se les représentent de manières différentes, selon leurs modes de pensée, leurs habitudes, leurs informations et même selon leurs moyens techniques et financiers: de sorte que leurs décisions traduisent différemment, donc tordent et enrichissent l’idée même de distance — qui, en tout état de cause, ne se fait linéaire et continue que dans des cas limités.

Ruptures de la distance

La distance a pourtant ses effets, car les actions qu’elle déclenche ont leurs lois. La distance est même directement en cause dans l’une des lois de base de la géographie, qui est la loi de l’attraction: en termes simples, plus c’est gros et plus c’est près, plus ça attire. Le «ça» le plus souvent considéré est la ville, comme lieu d’emploi ou de services. L’hypothèse est que la puissance de l’attraction est proportionnelle à la masse de la ville (m) mesurée en nombre d’habitants, d’emplois, de volume commercial ou tout autre critère similaire; et inversement proportionnelle à la distance (d), mais celle-ci jouant exponentiellement; ce qui donne a = md-n ou m/dn. De nombreuses mesures faites par des géographes et des économistes ont montré que c’était là une bonne approximation des comportements réels, avec n=2. En somme, l’équation d’Einstein, la distance étant en effet en principe à l’inverse du temps d’accès (donc de la vitesse c dans e=mc2). Ce qui n’est nullement une dérive sokalienne, mais quelque chose de très facile à comprendre et à observer dans les pratiques quotidiennes. Et, ainsi, peut-on vérifier qu’entre une ville grande et une petite, le point de partage pour maints déplacements (d’achats, ou d’habitat-travail) sera plus près de la petite ville que de la grande[2].

Néanmoins, cette loi de la distance joue entre certaines limites, et sa traduction dans l’espace géographique donne des résultats discontinus. Selon la formule même, l’attraction d’une ville ne serait jamais nulle. Dans la pratique, elle l’est à partir d’une certaine distance. Il est en effet des distances-seuils, que l’on n’accepte pas de dépasser, pour la plupart des actes de la vie quotidienne: 25 km d’une ville moyenne ou grande, dans la France actuelle hors Paris, est statistiquement une limite d’extension de l’habitat périurbain, soit une bonne demi-heure de route. Il en fut de même pour le temps d’accès aux champs, qui a souvent modelé le dessin des finages de nos villages; ou le temps de tracer un sillon. Ce sont aussi des distances-seuils qui ont fixé la répartition des relais sur les routes, comme les fameuses «sept lieues» de la tradition pédestre et hippomobile, dont dérive l’espacement de nombreuses petites villes sur les vieilles routes de la France et d’ailleurs. Ce sont elles que les Révolutionnaires ont prises en compte en dessinant les contours des départements: déjà la distance-temps, un jour de trajet maximum. Et l’on notera avec intérêt que l’usage de l’automobile a bien plus confirmé ce dessin qu’elle ne l’a rendu caduc: il suffit de regarder une carte de variation démographique par communes pour voir émerger les limites départementales, comme lieux de dépeuplement, certains diraient de désertification, au profit de la métropole départementale et de ses couronnes périurbaines.

Le fait de choisir, en fonction de la distance, une destination ou une autre (ville, port, site de vacances, etc.) se traduit par des discontinuités: ce sont elles qu’exprime le dessin de «tombées» urbaines, d’aires d’attraction et autres «zones d’emploi» ou «bassins d’emploi», voire de «bassins de vie» selon une expression courante mais quelque peu exagérée; ou d’arrière-pays portuaires dénommés hinterlands pour faire plus… grec. Les limites peuvent être un peu floues; elles sont parfois assez nettes, comme peut l’être une ligne de partage des eaux. Dès lors, vers la limite, le choix se marque par des sens opposés. On fréquente A, on tourne le dos à B, on finit par l’ignorer, sa distance n’est plus rien, n’existe plus, alors que l’on affronte régulièrement celle qui vous sépare de A. Sauf retournement de l’offre, si B se met à offrir plus ou mieux (en emplois, en services, etc.): alors sa distance se révèle et vous entraîne à la vaincre.

Le choix peut être multiple, et les discontinuités se manifester en série. Un bon exemple en est donné par le fameux modèle de Von Thünen, qui date de 1826 (Der Isolierte Staat): ayant à gérer l’affectation de ses terres autour de sa ferme de Poméranie, il dessina les «courbes de préférence» de ses diverses activités selon la distance tolérable ou souhaitable par rapport à la ferme, en tenant compte des dépenses en travail, transport, surveillance, sécurité, etc.: les unes devant être très près de la ferme, d’autres pouvant être éloignées, les unes assez indifférentes à la distance, d’autres très sensibles à la proximité. Le résultat se traduit nécessairement par des auréoles tranchées autour de la ferme, par un espace discontinu selon la distance. Bien avant et spontanément, les familles paysannes savaient faire, selon la distance, le tri entre jardins et chènevières (précieux et exigeants, près de la maison), ager (les champs) et saltus (les incultes, périphériques), gratifiant les finages d’habitat groupé d’une organisation auréolaire. Il en est, ou il en fut, de même dans bien des sociétés dites «premières». Et la distance au centre est un élément de base du zonage urbain dans les sociétés contemporaines, comme la distance à la plage dans l’organisation et les tarifs des stations balnéaires, ou la distance à la scène dans le prix des places de spectacle.

L’organisation de l’espace à l’échelle régionale elle-même est en partie déterminée par la distance à sa métropole. Chaque type de service à sa «portée», sa distance acceptée. Les services les plus rares se concentrent dans des villes étoffées, qui sont les principaux relais de la métropole, comme les villes de la «grande couronne» du Bassin Parisien telles Amiens, Le Mans ou Reims; voire, à l’échelle nationale, le cercle des grandes métropoles régionales elles-mêmes. Entre ces relais et le centre s’insèrent de plus petites villes servant de relais locaux pour des services moins rares et, dans un schéma d’ensemble, dessinant des anneaux intermédiaires. On sait que les fronts pionniers et les exploitations en pays difficile (le pétrole du bassin de l’Ob et le gaz de l’Arctique russe), voire les armées en campagne, esquissent des organisations hiérarchiques de même nature, avec des «bases arrière» de matériel et d’entretien assez proches, d’autres plus éloignées pour le repos et les loisirs. Et, finalement, l’organisation logistique de bien des firmes, surtout celles de grande distribution, connaît des relais et une gestion de la distance de nature comparable. C’est dire à quel point la distance, même brute, est déterminante dans l’organisation des territoires. Mais, dans tous ces cas, de façon discontinue, par paliers, auréoles, anneaux — toutes sortes de ruptures.

Il est d’ailleurs bien d’autres ruptures dans l’étendue, dont l’effet est d’accroître la distance réelle sans affecter la distance apparente, à vol d’oiseau. Un fleuve, un lac, un marais, une barre de relief à franchir, qui obligent à un détour. Une frontière, qui n’offre que quelques points de passage, et au prix de longues formalités. Et même, invisibles, des barrières que l’on dirait culturelles tant elles sont le résultat de longues habitudes, et qui empêchent certains passages, contraignent des migrations, canalisent des itinéraires, bloquent de possibles échanges: les unes linguistiques, d’autres ethniques ou politiques, ou même de simples attitudes[3]. Si les marchands de Venise ont délaissé les foires de Champagne pour la voie rhénane, c’est qu’ils jugeaient qu’à la longue la traversée du royaume de France était un obstacle bien plus redoutable que celle des Alpes centrales, sur un chemin sans trop de puissants et peu à peu jalonné de relais commodes. De ce chemin des marchands et de l’accumulation de leurs capitaux est née la mégalopole européenne, contournant prudemment l’Hexagone, quitte à allonger un peu la distance effective entre Adriatique et mer du Nord, Lombardie et Flandre ou Angleterre.

La distance représentée: enclavements et retranchements

Du fait que la distance a plusieurs mesures, qu’elle n’est pas exempte de ruptures et qu’elle se représente plus qu’elle ne s’arpente, découlent bien des conséquences géographiques. La proximité et l’éloignement, ces deux figures complémentaires de la distance, s’apprécient de bien des façons; si elles se jaugent, c’est subjectivement. Cela permet toutes sortes de jeux, et des comportements qui peuvent sembler surprenants, voire aberrants ou irrationnels.

L’idée d’enclavement en est un exemple: des lieux, des communes, des pays parfois, et même de grandes villes, se disent et se sentent «enclavés», loin de tout, mis «à distance». C’est que leurs issues, leurs accès à un objectif convoité, à un «centre», sont jugés insuffisants, laborieux, éloignant ainsi l’objet du désir. L’idée va avec celle de «périphérie»: un sentiment d’être à distance de «là où les choses se passent», ou du moins de là où sont les services souhaités, sinon indispensables. Il est durement ressenti dans une grande partie des campagnes françaises en ces temps de furieuse concentration des services.

L’idée, ou le sentiment, prend des tours plaisants lorsque d’honorables institutions toulousaines se plaignent de l’«enclavement» de Toulouse, pourtant la ville la plus icarienne qui soit, au motif qu’elle est la seule grande ville française à n’être pas reliée à Paris par une vraie autoroute, ni par un vrai TGV: pensez donc, il faut passer par Bordeaux… Le fait que Toulouse soit reliée à la capitale en une heure par d’abondantes navettes aériennes, et à bien d’autres villes de France, d’Espagne et d’ailleurs, par des moyens de transport rapides, ne suffit pas à atténuer le malaise: Paris est «loin», donc Toulouse est enclavée. Est enclavé qui se sent loin du lieu du pouvoir…

L’enclavement est plus réel en d’autres lieux, moins accessibles et dont la distance à tel service, tel hôpital, telle ville, est augmentée par son environnement même: la distance se perçoit alors comme accessibilité. Ce peut être un éloignement de nature politique, lié aux aléas des limites: la région de Kaliningrad est une enclave au sens traditionnel, séparée du reste de la Russie et enclavée dans l’Union européenne, et peut se sentir aujourd’hui plus éloignée de Moscou qu’au temps de l’URSS. Celle-ci avait délibérément enclavé en extrême Sibérie une «région des Juifs», qui d’ailleurs subsiste. Les Arméniens du Haut-Karabakh se sont empressés d’éviter un inéluctable éloignement du reste de l’Arménie en s’emparant du morceau d’Azerbaïdjan qui les en séparait: la distance physique n’a pas changé, la distance ressentie n’est plus la même.

Ce peut être en raison de la topographie: une île, un village en bout de vallée montagnarde, paraissent plus «loin» que selon leur simple distance à vol d’oiseau. C’est le sort de tous les «bouts du monde» et qui se vivent tels, qu’il s’agisse d’une «culée» du Jura, ou de ces finisterres qui ne se sont pas vus comme tremplins vers les larges horizons, mais qui regardent vers l’intérieur. Des marais et des forêts se vivent comme labyrinthes, et dans un labyrinthe la distance devient infinie: on s’y perd, provisoirement ou pour toujours. Voyez aussi les ruelles de Naples et des médinas, ou les traboules de Lyon: faites pour traverser, pour aller plus vite en raccourcissant les distances, lorsqu’elles sont prises une par une, elles créent par leur lacis des distances infinies où s’égarent les étrangers et les poursuivants. C’est aussi pourquoi les marais, les forêts et certains quartiers urbains sont des lieux privilégiés des dissimulations, terrains d’élection des hors-la-loi, des insurgés et des résistants: la distance infinie protège les antimondes.

Il est en effet bien des moyens d’augmenter les distances, et des stratégies adaptées. On se protège, ou l’on protège son autorité, en se mettant à distance, en prenant ses distances. Il suffit de dresser un obstacle pour s’éloigner des autres. Les bourgeois de Caracas élèvent des murs, et les surélèvent avec tessons de bouteilles ou clôtures électriques; des promoteurs vous proposent jusqu’en France des cités protégées, «gated communities» et autres «résidences sécurisées»; des «quartiers» s’avèrent interdits à la police républicaine… Le Moyen Âge provençal avait ses villages doublement éloignés, sur un piton escarpé et derrière de hauts murs; il en reste les ruines pittoresques du castellas. Ailleurs on se bardait de murailles, douves et donjon. Le phénomène est si général que le mot château, comme on sait, vient de castrum, ce qui veut dire: coupé de, séparé, donc é-loigné. Ce n’était pas seulement pour des raisons de sécurité: la prise de distance est aussi une marque de l’autorité, une expression du pouvoir. Le palais moderne s’entoure de grilles, et d’une place de parade, comme le château contemporain se flanque d’un parc et d’une longue allée d’arbres. Le temple aussi est un mot qui vient de l’idée de coupure: le verbe grec temon est trancher, couper, et se retrouve dans tous les mots en –tomie; il exprime la distance que prend toujours le sacré par rapport aux sujets, avec limites infranchissables, tabou, même quand elles sont virtuelles, donc distances infinies.

Le retranchement est une attitude générale dès lors qu’il s’agit de prendre et garder distance, et un artifice pour accroître la distance. En vue de marquer une autorité, un pouvoir; ou afin de se protéger. Il n’y a qu’un pas de l’éloignement à l’étrangement (Entfremdung en philosophie allemande), autrement dit l’aliénation. Cela se voit à l’échelle individuelle, dans certaines formes d’habitat, de résidences dites secondaires ou mobiles, même lorsqu’elles vont en troupeau, et jusque dans les douces et innocentes thébaïdes, les ermitages et autres tours d’ivoire. Le monde entier a ses antimondes, il est truffé de lieux et camps retranchés, d’espaces réservés ou même aliénés, de zones dites franches et de paradis fiscaux éloignés de la loi commune, serait-ce par de simples limites, mais qui parfois prennent la forme de grillages et de barbelés. Autres tabous, autres distances infinies.

La distance et la différence

Si l’on se soucie de la distance entre deux lieux, c’est en vue d’un projet; et s’il y a projet c’est que l’on perçoit une différence entre ces deux lieux. Ils sont non seulement séparés mais distincts et différents: une autre ressource, d’autres prix, d’autres personnes, un autre climat, un autre paysage, etc. La distance va avec la différence et toutes deux avec la distinction, aussi bien entre les lieux qu’entre les personnes. Sociologues et philosophes ont travaillé sur ce dernier sujet; la question des lieux, lesquels d’ailleurs impliquent aussi des personnes et des populations, mérite non moins d’efforts. La question se pose dans plusieurs domaines: pensons aux phénomènes de diffusion et de contagion, à la dimension des territoires, à la division spatiale du travail et à la mondialisation. La distance y a une place centrale. Non pas, bien entendu, qu’il faille considérer que la distance elle-même crée ou entretient la différence: elle n’est pas un acteur. Mais elle a sa place dans la dynamique de la différence.

La distance facilite la différence. Inversement, la proximité aide à la ressemblance; si le mimétisme s’oppose à la distinction, il en est inséparable dans le snobisme. Sur le territoire, la proximité est souvent associée à des phénomènes d’imitation et de contagion: c’est la base de l’épidémiologie et, plus généralement, des études de diffusion. Or celles-ci ont depuis longtemps établi que la distance physique n’est qu’un élément, et parfois secondaire, de la propagation. Cela dépend de l’objet de la diffusion, et de son vecteur: un virus, un gaz toxique, une mode, une invention; un insecte, un renard, une information directe (ce que l’on voit en passant) ou une information téléportée.

Certains phénomènes géographiques majeurs, tels des formes de colonisation avec front pionnier, ne peuvent aller que de proche en proche, pas à pas, parce qu’il leur faut s’appuyer sur des routes, sur des approvisionnements, sur des moyens de sécurité, voire sur des législations successives qui ouvrent peu à peu l’espace; ils n’en progressent pas moins irrégulièrement, en fonction du «terrain», de ses résistances et de ses avantages, ainsi d’ailleurs que de l’évolution de ce qui a déjà été conquis. Même proches, se trouveront des sujets ou des lieux «résistants» et d’autres plus «porteurs». Dans un grand nombre de cas, par exemple la diffusion d’une innovation, pour que quelque chose passe entre deux lieux, il faut aussi, voire surtout, une capacité réceptive: la proximité structurelle compte plus que la proximité dans l’étendue.

Il advient même que la proximité bloque le changement en raison de la pression sociale et culturelle: c’est ce qu’exprimait le vieil adage: «nul n’est prophète en son pays». C’est pourquoi la diffusion fait des sauts, l’innovation est reprise au loin, d’une façon qui peut paraître aléatoire mais qui passe par d’autres proximités que les proximités physiques. C’est pourquoi aussi elle peut être socialement différenciée: la diffusion des comportements par mimétisme, étudiée par exemple en ces derniers temps dans l’épidémiologie de l’obésité, montre bien que la distance sociale compte autrement plus que la distance physique. Et c’est pourquoi, encore, elle peut être fortement infléchie par la différenciation de structures spatiales distinctes: il est des contrées innovantes et d’autres très résilientes, pour des raisons qui d’ailleurs peuvent s’opposer: la résilience est aussi bien le fait de lieux au système figé, entropique, incapable de réagir, que de lieux «satisfaits» de leur système au point de résister à toute altération.

Les territoires de l’humanité se divisent en systèmes locaux, ce qui crée de nouvelles ruptures dans les distances. S’il n’y a aucune régularité apparente dans la dimension des États et la distance entre leurs frontières, il ne semble pas en être de même au niveau régional et local. On a pu montrer l’émergence de structures à différents niveaux, et de dimensions relativement constantes: le quartier rural ou urbain, le «pays» ou la «contrée», la région au sens le plus courant. J’ai proposé de considérer le concept de géon comme exprimant la réalisation d’une structure spatiale soutenue par un système quelque peu cohérent et durable: l’une des formes possibles de territoire. Or cette cohérence, et la cohésion des lieux associés, se tiennent dans une certaine dimension; la distance tend à altérer la cohésion: un système n’occupe que l’étendue qu’il peut maîtriser dans la durée; c’est ce que je nomme la loi du cantonnement. Les lieux qui composent cette structure sont plus «proches» les uns des autres qu’ils ne le sont des lieux d’une structure voisine, parce qu’ils sont liés par leur système. La contrée voisine, comme son étymologie l’indique, est «contre»: certes «tout contre», mais opposée, donc distante à sa manière.

Les études menées par Armand Frémont et d’autres sur l’«espace vécu»[4] montrent des régularités et des distances relativement comparables, qui ne sont pas sans rapport avec les «bassins de vie» ou les «zones d’emploi». Ce sont d’autres formes de territoire. Que les temps de transport, donc les distances-temps, contribuent à en esquisser les limites n’est pas fortuit. Ces organisations locales ne sont pas de même nature qu’une troisième forme de territoire, celles des mailles de l’administration locale, mais elles peuvent s’en rapprocher, et même coïncider. Les mailles peuvent être héritées d’un lointain passé aux logiques sociales et politiques fossiles; mais elles ont souvent et principalement un fondement distanciel — le département fondé sur le temps d’accès au chef-lieu, la région elle-même fondée le plus souvent possible sur le rayonnement d’une métropole, sur l’accès à un «chef»-lieu. Les États des États-Unis ont été dessinés en fonction d’un volume de population, et souvent ils sont divisés en comtés de taille égale comme on fait d’un lotissement. La coïncidence des limites administratives avec les limites de structures spatiales cohérentes n’est nullement assurée, les logiques sont différentes. Mais la considération de la distance à un centre tend à les rapprocher, et par là même à renforcer la cohésion de la cellule. Ce n’est pas par hasard que, dans l’organisation actuelle du territoire national, le département est plus présent et plus vivant que jamais, avec son centre et ses périphéries — au moment même où des esprits fort mal informés prônent sa suppression…

La différence entre deux lieux distincts et plus ou moins distants peut être un simple gradient: il y a plus en B qu’en A. Il en résulte des transferts, des mouvements. Bien entendu, on ne transfère pas une différence d’altitude, ou d’ensoleillement; mais déjà, en ce domaine, s’ensuivent des mouvements atmosphériques, des courants d’air; et quelques mouvements de population, périodiques comme les migrations touristiques et autres transhumances saisonnières, ou durables — vers la montagne en temps d’insécurité, vers la plaine quand elle est plus prospère. Plus généralement, la différence est structurelle: A est autre chose que B, et n’a pas les mêmes choses que B. De là viennent les échanges, toute la géographie des transports et du commerce; et, bien plus, la division spatiale du travail, à la fois résultat de ces différences et source de différences accrues, ou modifiées, parfois même inversées.

La division spatiale du travail fait produire en des lieux distincts des objets différents. Elle implique des distances, fût-ce entre quartiers d’une même ville médiévale. On a longtemps vu les choses de façon assez simple. La géographie classique en avait fait, sinon une théorie, du moins une représentation des complémentarités: entre région agricole et région industrielle, entre région tempérée et région tropicale, entre plaine et montagne, entre ville et campagne. Complémentarité valait presque nécessité. Une distance assez forte pour que soit perçue la différence, mais assez courte pour qu’il fût aisé de la vaincre, garantissait des échanges abondants. Une trop grande distance rendait impossibles les échanges, sauf pour des affaires suffisamment rares et précieuses.

Ce n’était pas faux, mais un peu sommaire. On s’est aperçu que des lieux apparemment semblables échangeaient bien plus que des lieux réputés différents: les villes de l’«archipel métropolitain mondial» entre elles, la France avec l’Allemagne. C’est, d’une part, que la ressemblance entre ces métropoles, ou entre ces pays, n’est que globale: dans le détail, il est quantité de techniques, d’inventions, de tours de main, de nuances de formes, de qualité, des spécialités de produits et de services qui appellent l’échange; et que, d’autre part, ceux qui sont du même niveau et s’intéressent aux mêmes activités ont bien plus à se dire qu’à dire aux autres: le chercheur, l’artisan, l’artiste échange surtout avec ses pairs.

Reste que la division spatiale du travail, quelque subtiles qu’en deviennent certaines formes, est une source féconde de richesse par les rentes différentielles qu’elle procure. Exploiter un différentiel de coûts assure du profit, quitte à créer ce différentiel en exploitant différemment le travail humain en des lieux distants. L’essentiel est que distance il y ait. Distance… y a-t-il encore des distances? Les mégapoles, éloignées les unes des autres, sont proches par leurs relations. L’information, qu’altérait grandement la distance — «a beau mentir qui vient de loin» — est devenue immédiate pour une part depuis l’invention du téléphone, et pour une part infiniment plus large depuis celle d’Internet. Google Earth vous donne à voir immédiatement n’importe quel coin perdu dans le monde, une ville secrète ex-soviétique, un nouveau chantier de centrale nucléaire sur la côte du Kuangtong.

Fin de la distance?

Il se trouve toujours de bons esprits pour prédire une «fin»: celle d’un monde, ou plus modestement la fin de l’histoire, de la géographie, etc. La distance n’y a pas manqué, à travers les gloses sur le cybermonde. Au motif que Google vous dit tout, tout de suite et n’importe où, et quand votre banque vous répercute en direct le moindre frémissement de fièvre lointaine, à quoi servent la distance, et donc la géographie? Des philosophes ou des sociologues les effacent allègrement et proclament l’avènement d’un nouveau monde. Des géographes n’ont pas manqué de se prendre au piège.

Pourtant ce n’est pas la distance qui est abolie, c’est le temps de l’information, et d’ailleurs de l’information seule. Nous n’avons pas affaire à une distance zéro, mais à une durée zéro, et ce n’est pas du tout la même chose. Vous pouvez entendre «en direct» votre interlocuteur, et même le (la) voir grâce à une webcam; vous n’y toucherez pas. Et il est facile de rappeler qu’Internet, le téléphone et la télévision réclament des lignes, des câbles, des satellites et de multiples relais, des équipes, des firmes et des centres d’appel, qui ne sont pas n’importe où, et que c’est déjà «de la géographie», outre que les consommations et les accès en restent très inégaux, à l’échelle mondiale aussi bien que locale. Que le fait de commander un objet par le «commerce électronique», l’e-business, n’annule pas davantage la distance: encore faut-il que cet objet soit produit quelque part, avec des intrants venus de quelque part, et qu’il vous soit livré physiquement, par des personnes réelles et des chemins bien concrets. Mieux: le virtuel lui-même vous replonge dans le territoire et ses distances réelles par le GPS, jusqu’en randonnée…

Il y a bien plus. Parce que la différenciation des territoires est le garant des rentes différentielles, indispensables aux firmes même les plus mondiales, celles-ci se donnent les moyens de recréer constamment différence et distance. Elles s’efforcent de réduire toujours plus les coûts de transport, maritimes surtout, ce qui est une certaine forme de distance, mais pour mieux exploiter les différences qui tiennent aux distances physiques sauvegardées. Ce n’est pas pour rien qu’elles «délocalisent», c’est-à-dire en fait relocalisent au loin, à tour de bras et à distance, et réinventent des gradients là où ils tendaient à s’effacer, ou ailleurs. Inversement, l’augmentation des distances sociales a pour effet de favoriser les rapprochements communautaires, qui à leur tour créent de nouvelles barrières, donc de nouvelles distances. Le monde n’en finit pas de s’émietter sous le voile de la mondialisation.

Plus généralement, comme la planète, l’humanité a besoin de «biodiversité». Pour le meilleur, qui est dans la richesse de ses formes et dans sa créativité; et pour le pire: elle est en train de réinventer un peu partout des frontières et des affrontements. D’un côté certains de ses acteurs maintiennent obstinément des distances fructueuses; en même temps d’autres, ou les mêmes, transforment des distances en dangereuses proximités, prenant ainsi des risques redoutables. Rien ne s’est uniformisé dans la géographie du monde «mondialisé», qui garde toutes ses distances et qui, même, creuse les distances sociales[5], et quelques autres avec. Ce qui appelle, de la part des géographes, des efforts accrus.


Notes

  1. Et bien des économistes fixés sur la production et qui ont eu tendance à sous-estimer la mise à disposition (transport, stockage) ou cherché à minimiser le coût du transport. Marx le premier, peu sensible aux dimensions spatiales.
  2. La distance peut s’exprimer en kilomètres, ou en minutes, voire en euros; il en résulte éventuellement des variations de la valeur de n. Il va de soi qu’interviennent en même temps d’autres considérations: variation des coûts de l’habitat (mais ils semblent suivrent une loi similaire autour de la ville, plus celle-ci est grande et proche plus c’est cher), intervention des moyens de transport en commun, jeu des encombrements aux heures de pointe sur les temps d’accès, localisation des grands centres commerciaux (mais alors la loi s’applique par rapport à ceux-ci), etc. La loi est généralement dite de «gravité», voire de «gravitation»; c’est à tort, car rien ne tombe ni ne tourne en l’occurrence, et par ces mots l’analogie avec les corps célestes est exagérée et pernicieuse; attraction est clair et préférable. La ville attire, c’est un fait.
  3. Les travaux de C. Grasland et de son équipe ont révélé ainsi bien des structures et barrières, de «discontinuités multicritères» pas toujours connues ni évidentes, dans l’organisation des relations à l’échelle européenne. Cf. entre autres C. Grasland et G. Hamez, «Vers la construction d’un indicateur de cohésion territoriale européen?», L’Espace géographique, 2005-2, pp. 97-116, avec cartes.
  4. A. FRÉMONT, La région, espace vécu, 2e éd. Flammarion, coll. Champs, 1999.
  5. Thème considérable, que l’on ne peut qu’évoquer ici: des différences s’atténuent sur le territoire à l’échelle régionale, mais s’accroissent dangereusement à l’échelle locale, dans la ville surtout. Avec information immédiate et distances zéro.
Et bien des économistes fixés sur la production et qui ont eu tendance à sous-estimer la mise à disposition (transport, stockage) ou cherché à minimiser le coût du transport. Marx le premier, peu sensible aux dimensions spatiales.
La distance peut s’exprimer en kilomètres, ou en minutes, voire en euros; il en résulte éventuellement des variations de la valeur de n. Il va de soi qu’interviennent en même temps d’autres considérations: variation des coûts de l’habitat (mais ils semblent suivrent une loi similaire autour de la ville, plus celle-ci est grande et proche plus c’est cher), intervention des moyens de transport en commun, jeu des encombrements aux heures de pointe sur les temps d’accès, localisation des grands centres commerciaux (mais alors la loi s’applique par rapport à ceux-ci), etc. La loi est généralement dite de «gravité», voire de «gravitation»; c’est à tort, car rien ne tombe ni ne tourne en l’occurrence, et par ces mots l’analogie avec les corps célestes est exagérée et pernicieuse; attraction est clair et préférable. La ville attire, c’est un fait.
Les travaux de C. Grasland et de son équipe ont révélé ainsi bien des structures et barrières, de «discontinuités multicritères» pas toujours connues ni évidentes, dans l’organisation des relations à l’échelle européenne. Cf. entre autres C. Grasland et G. Hamez, «Vers la construction d’un indicateur de cohésion territoriale européen?», L’Espace géographique, 2005-2, pp. 97-116, avec cartes.
A. FRÉMONT, La région, espace vécu, 2e éd. Flammarion, coll. Champs, 1999.
Thème considérable, que l’on ne peut qu’évoquer ici: des différences s’atténuent sur le territoire à l’échelle régionale, mais s’accroissent dangereusement à l’échelle locale, dans la ville surtout. Avec information immédiate et distances zéro.