Évaluation des chaînes intermodales de transport:
l’agrégation des mesures dans l’espace et le temps

Laurent CHAPELON

 

Communication au colloque international «Technological innovation for land transportation» - Lille 2/4 décembre 2003

RÉSUMÉ – La présente contribution aborde la question de l’évaluation spatiale et temporelle des services intermodaux de transport. Le développement d’instruments de mesure de l’accessibilité intermodale de plus en plus précis tenant compte des horaires de circulation des transports collectifs, de la variabilité temporelle des niveaux de circulation sur le réseau routier et des parcours terminaux, pose la question de l’agrégation des mesures d’accessibilité dans l’espace et le temps. En effet, l’offre de transport intermodale est, plus que l’offre monomodale, sujette à de fortes variations de performance dans l’espace et au cours du temps, ce qui nécessite une démarche d’évaluation très désagrégée, presque minute par minute. Or, la quantité d’informations qui en découle se prête difficilement à une vision synthétique de la performance des chaînes intermodales de transport. Les atouts et limites des indicateurs spatio-temporels désagrégés et agrégés seront donc étudiés au regard des résultats escomptés.

ABSTRACT – Evaluation of intermodal transport chains: the aggregation of measures in space and time. – This paper deals with the evaluation of intermodal transport services in space and time. Research in developing tools to measure intermodal accessibility have led to more and more accuracy, ie integration of travel time variability on the road network and beginning and end of transport chains. Those advances open up the questions of the aggregation of accessibility measures in space and time. Intermodal transport performances are more volatile than their monomodal transport counterparts, thus requiring a more detailed and disaggregated modelling process. But the huge amount of data necessary make more difficult any global approach at the more aggregated levels. Pros and cons of those aggregated and disaggregated measures will be discussed and analysed in respect of the expected results.

1. L’ACCESSIBILITE INTERMODALE

L’évaluation spatiale et temporelle de la performance des chaînes intermodales de transport repose principalement sur les mesures d’accessibilité. L’accessibilité d’un lieu peut être définie comme la plus ou moins grande facilité avec laquelle ce lieu peut être atteint à partir d’un ou de plusieurs autres lieux, à l’aide de tout ou partie des moyens de transport existants. L’accessibilité ne renvoie pas uniquement à la seule capacité d’atteindre ou non un lieu donné, mais elle traduit également la pénibilité du déplacement, la difficulté de la mise en relation. Or, si l’accessibilité est d’approche intuitive relativement aisée nous verrons que sa mesure et sa représentation posent des contraintes méthodologiques fortes.

Mesurer l’accessibilité d’un lieu revient à quantifier la plus ou moins grande facilité avec laquelle ce lieu peut être atteint à partir d’un ou de plusieurs autres lieux. La manière la plus couramment utilisée pour évaluer cette facilité d’accès est de déterminer l’espace de temps (la durée) nécessaire pour aller d’un point à un autre de l’espace géographique. Il s’en suit que la distance-temps, évaluée en unités de durée (minutes…), apparaît généralement comme la distance la plus pertinente pour mesurer l’écartement, l’éloignement entre les lieux.

Le choix des modes et de l’itinéraire empruntés par l’usager peut soit reposer directement sur la minimisation de la distance-temps, soit renvoyer à d’autres logiques de déplacement comme la minimisation du kilométrage ou du coût de transport pour lesquelles il est possible d’extraire dans un second temps la durée, non nécessairement optimale, du trajet. La recherche de la plus grande précision possible lors du calcul des distances-temps se heurte à des contraintes qui conduisent à l’obtention de mesures fortement désagrégées, tant spatialement que temporellement.

1.1. Contraintes spatiales

Toute mesure d’accessibilité se rapporte à un lieu donné, localisé avec précision dans l’espace géographique.

Deux lieux situés à quelques mètres l’un de l’autre peuvent présenter de forts différentiels d’accessibilité s’ils sont séparés par un cours d’eau, un élément de relief ou une infrastructure autoroutière ou ferroviaire.

Associer une valeur d’accessibilité à une ville est, en toute rigueur, erroné puisque cette valeur ne correspond qu’à un lieu et un seul de l’espace urbain (logement, place publique, échangeur autoroutier, carrefour…). Lorsqu’il est question de l’accessibilité entre deux villes, il convient de définir précisément les lieux d’origine et de destination notamment si l’on souhaite comparer entre elles des chaînes de transport.

Calculer l’accessibilité entre deux gares tend à favoriser le train par rapport à la voiture; calculer cette accessibilité entre deux zones d’activités périphériques relativise la performance du train surtout si les trajets terminaux à partir de la gare sont de mauvaise qualité. Comme les trajets urbains sont, dans de nombreux cas, fortement chronophages, le choix des lieux de référence est fondamental. Il faut, par exemple, le même temps (une heure) pour parcourir en TGV les 230 kilomètres qui séparent la gare de Tours de la gare Montparnasse à Paris que pour couvrir les 23 kilomètres entre cette dernière et l’aéroport Charles-de-Gaulle !

Ainsi, les coordonnées géographiques des lieux d’origine et de destination constituent un élément indissociable de la mesure d’accessibilité. Comme personne n’habite dans les gares, les aéroports ou les péages autoroutiers, ceci a pour conséquence méthodologique d’imposer la modélisation complète de la chaîne de transport incluant les trajets pédestres d’extrémités. Ainsi, les temps de parcours devraient, en toute rigueur, être calculés de porte à porte pour les voyageurs ou d’étagère à étagère pour les marchandises. Le travail de recherche sur l’évaluation des chaînes de transport à dominante routière et ferroviaire en Languedoc-Roussillon et Nord-Pas-de-Calais mené pour le compte du GRRT Nord-Pas-de-Calais par l’équipe montpelliéraine de l’UMR ESPACE a mis en évidence l’impact considérable des trajets terminaux sur la concurrence rail-route [APP.02].

Cependant, la multiplicité des lieux de résidence, de travail, d’études ou de loisirs explique que de nombreux travaux sur la question utilisent, selon l’échelle d’analyse, un temps forfaitaire de pré et post acheminement vers ou depuis la gare, l’aéroport, l’arrêt de bus, l’échangeur autoroutier…, ou associent l’accessibilité à un lieu unique (gare, aéroport, centroïde de la zone urbaine agglomérée, carrefour principal…) considéré comme représentatif de l’accessibilité des lieux d’une certaine zone (ville, commune, quartier…). Cette démarche est, en règle générale, guidée par la recherche de résultats s’appliquant au plus grand nombre et non pas à un seul couple d’individus.

La désagrégation spatiale des mesures pose également des problèmes méthodologiques lourds concernant la densité des résultats. La modélisation des réseaux sous forme de graphes valués, dans laquelle nous situons nos propos, couplée à la puissance de calcul des ordinateurs permet d’obtenir une couverture fine de l’espace géographique en lieux de mesure [CHA.97, MAT.03]. Il s’agit cependant d’un espace discret renvoyant un nombre fini de lieux. L’obtention d’une couverture complète de l’espace peut se faire soit à l’aide d’une modélisation par carroyage impliquant le calcul d’un temps de traversée des cellules [PAS.96], soit par interpolation des valeurs discrètes à l’origine de cartes en isolignes [CHA.00]. L’atout principal de l’interpolation par rapport au carroyage est la lisibilité du rendu cartographique, sa faiblesse réside dans l’estimation mathématique des valeurs des cellules situées entre les lieux de mesure et donc dans la perte relative de précision qui en découle.

1.2. Contraintes temporelles

Toute mesure d’accessibilité se rapporte à un instant donné et à un seul.

De la même manière que l’accessibilité s’inscrit dans l’espace géographique, elle s’inscrit dans le temps car elle dépend du moment où elle est mesurée. Les systèmes de transport à fonctionnalité temporaire munis d’horaires de circulation (trains, avions, bus…) sont particulièrement concernés par de fortes variations de l’accessibilité au cours de la journée [CHA.02, LHO.01a].

L’accessibilité entre deux gares peut être optimale à 8h00 s’il existe un train partant à cette heure là, et médiocre à 8h01 si le train suivant ne part qu’à 19h00. Le même constat peut être opéré pour les modes de transport à fonctionnalité permanente pour lesquels l’accès au service offert par le système de transport est indépendant d’horaires de circulation (marche, automobile, vélo…). Par exemple, l’accessibilité automobile en milieu urbain dépend fortement du niveau d’utilisation des infrastructures entraînant des écarts parfois très importants entre les heures creuses et les heures de pointes [CHA.02].

En toute rigueur, il est erroné d’associer une valeur d’accessibilité à un couple de lieux sans positionner la mesure dans le temps. Ainsi, à toute mesure d’accessibilité doivent être associés, outre les coordonnées géographiques des lieux pris en considération, la date, le jour et l’heure de la mesure.

1.3. Réponse méthodologique: obtention de résultats désagrégés

La détermination des indicateurs d’accessibilité intermodale implique, dans de nombreux cas, de pouvoir prendre en considération, dans le même algorithme de recherche d’itinéraires optimaux, deux logiques de modélisation distinctes en fonction de la nature des modes de déplacement utilisés. Se combinent, en effet, les modes à fonctionnalité permanente, pour lesquels l’accessibilité est évaluée à partir de durées minimales de parcours et les modes à fonctionnalité temporaire munis d’horaires de circulation pour lesquels l’accessibilité se décline en termes d’heure minimale d’arrivée à destination sous contrainte d’une heure de départ donnée ou d’heure maximale de départ sous contrainte d’une heure d’arrivée donnée.

Dans le premier cas, le service offert par les moyens de transport mis en jeu est accessible en permanence. Les temps de parcours sont calculés à l’aide de vitesses de déplacement variables selon l’intensité des flux (routiers, piétonniers…) présents au moment où est effectué le déplacement. Une méthode de calcul des temps de parcours automobiles à l’échelle régionale intégrant les conditions de trafic a été développée par l’équipe montpelliéraine de l’UMR ESPACE. Une application à l’étude de la variabilité de la performance des réseaux routiers dans l’Est londonien est présentée dans [APP.03]. La principale contrainte rencontrée reste l’obtention de données de trafic suffisamment fines pour évaluer avec précision la variabilité de l’accessibilité au cours de la journée.

Dans le second cas, le service offert par les transports en commun est temporaire dans la mesure ou il n’est accessible que jusqu’à une certaine heure correspondant à l’heure de départ du véhicule. Dans ce cas, l’accessibilité se mesure en soustrayant, soit l’heure minimale d’arrivée à destination avec l’heure minimale de départ souhaitée, laquelle peut parfois être très inférieure à l’heure de départ effective du véhicule, soit l’heure maximale d’arrivée souhaitée avec l’heure maximale de départ calculée. L’intérêt réside ici dans la disponibilité de bases horaires permettant un calcul très précis de l’accessibilité.

L’étude GRRT relative à la concurrence rail - route évoquée précédemment met en évidence, pour les déplacements domicile - travail et domicile - études, la difficulté pour les transports collectifs d’être concurrentiels à la fois le matin et le soir, ce qui confirme l’importance d’analyses fines basées sur des mesures désagrégées de l’accessibilité [APP.02]. Cette étude montre également que des aménagements mineurs d’horaires des transports collectifs urbains et interurbains, permettant d’améliorer leur complémentarité, confère à la chaîne TC des gains substantiels de performance susceptibles de lui permettre de mieux concurrencer la voiture sur certains itinéraires. Ceci confirme qu’avant d’entreprendre des investissements coûteux en infrastructures, il est fondamental d’optimiser le fonctionnement des modes de transport, non plus individuellement, mais au sein de chaînes intermodales et dans une logique de déplacement de porte à porte [LHO.01b].

Le développement algorithmique que l’exploitation des horaires de circulation des transports en commun impose a été réalisé au laboratoire du CESA (Université de Tours). La démarche et l’algorithme sont décrits dans [BAP.03 et CHA.03]. Ce dernier permet de travailler sur les seuls modes collectifs, sur les seuls modes individuels ou sur la combinaison des deux dans le cadre, par exemple, de trajets nécessitant l’utilisation de la voiture en complément des transports en commun.

La réponse méthodologique aux contraintes spatiales et temporelles permet, dans les deux cas évoqués précédemment (modes à fonctionnalité permanente ou temporaire), pris séparément ou combinés au cours d’un déplacement, d’obtenir en sortie autant de matrices de temps de parcours entre couples de lieux que d’instants de mesure. Dès lors, la question principale qui se pose est celle de l’exploitation synthétique à des fins d’analyse d’une information spatialement et temporellement désagrégée, c’est-à-dire valable pour un couple de lieux donnés à un instant donné.

En effet, si elles offrent une précision maximale permettant d’étudier finement les écarts de performance des chaînes intermodales dans l’espace et au cours du temps, les mesures désagrégées ont pour principal handicap leur faible capacité de synthèse. Plusieurs solutions, présentées et critiquées par la suite, permettent cependant d’accroître leur portée synthétique.

Nous distinguerons deux grandes familles d’indicateurs selon qu’ils se rapportent au déplacement proprement dit ou aux opportunités offertes à destination. Dans le premier cas, le temps de parcours est le matériau principal de l’analyse, dans le second cas, c’est le temps disponible à destination qui prime. La présentation des indicateurs d’accessibilité adoptée ci-dessous suit de manière croissante leur niveau d’agrégation, tant spatiale que temporelle.

2. DU BON USAGE DU TEMPS D’ACCÈS

2.1. L’accessibilité à l’instant t

Les représentations unipolaires des valeurs désagrégées reposent sur l’élaboration de cartes de temps de parcours (par exemple en cercles proportionnels ou en isolignes après interpolation) au départ ou à destination d’un lieu donné et à un instant donné. La visualisation sur une même page de plusieurs cartes correspondant à différents moments de la journée permet d’étudier de manière discontinue les variations de l’accessibilité au cours du temps [CHA.03]. La recherche d’une lisibilité correcte des cartes tend à limiter leur nombre sur une même page et donc à réduire la finesse de l’analyse, notamment lorsque les valeurs subissent de fortes variations journalières.

L’accessibilité peut être très bonne à 6h et très mauvaise à 6h15, ce que masque la méthode présentée ici si l’intervalle de temps entre 2 cartes est trop élevé. Il semble difficilement possible d’aller au delà de 12 cartes par double page, soit une carte toute les 2 heures sur la journée ou une carte par heure sur la demi-journée. De plus, cette méthode impose de réaliser autant de groupes de cartes que de lieux d’origine ou de destination des déplacements et contraint ainsi à l’élaboration d’un atlas souvent volumineux.

Il est également possible de comparer sur une même page les lieux d’origine ou de destination entre eux. Or, ceci accroît la synthèse spatiale, mais réduit la synthèse temporelle puisque, pour être comparables, les accessibilités sont calculées pour un départ ou une arrivée à la même heure. Là encore, le nombre de lieux de référence reste limité par les contraintes de lecture des cartes.

Afin de résoudre le problème lié à l’intervalle de temps séparant la cartographie des différentes valeurs, nous proposons de représenter l’accessibilité entre un couple de lieux au moyen de courbes figurant en abscisse le moment de la journée et en ordonnée le temps de parcours correspondant. Ainsi, il est possible de visualiser sur un même graphique l’évolution de l’accessibilité au cours de la journée. La courbe ainsi obtenue pourra ensuite être comparée avec les courbes relatives à d’autres chaînes intermodales ou à d’autres dates d’analyse.

La figure 1 présente les variations horaires du temps de parcours entre Montpellier et Berlin le 8 novembre 1999 et le 18 juin 2001. Sont comparées les chaînes aériennes monomodales reliant les deux aéroports et les chaînes intermodales fer-air entre la gare TGV de Montpellier et l’aéroport de Berlin. Dans les deux cas, le trajet nécessite une correspondance à Paris Charles-de-Gaulle et donc une modélisation spécifique de la connexion avion-avion ou TGV-avion en ce lieu [CHA.03].

Les résultats illustrent toute la difficulté pour la chaîne intermodale fer-air de concurrencer ou même de compléter l’offre aérienne monomodale entre des villes dotées d’un aéroport de dimension nationale ou internationale.


Fig. 1: Variations horaires de l’accessibilité entre Montpellier et Berlin
Time variations of accessibility levels between Montpellier and Berlin

L’accroissement de la puissance des ordinateurs fournit une grande souplesse quant au pas adopté pour les calculs. Ce pas peut être fixé librement à une heure, une demi-heure, un quart d’heure voire à une minute, ce qui permet une représentation quasi continue de l’accessibilité au cours du temps. Afin d’optimiser le temps de calcul, le pas peut s’adapter automatiquement à chaque nouveau départ ou à chaque nouvelle arrivée. Par exemple l’accessibilité ferroviaire au départ d’une gare reste inchangée aussi longtemps qu’un nouveau train ne part pas.

Cette méthode offre un haut degré de synthèse temporelle, mais celle-ci s’opère au détriment de la synthèse spatiale puisque si l’on veut comparer la performance des chaînes intermodales entre elles il convient de réaliser autant de graphiques que de couples origine-destination.

De même, si, pour une même chaîne intermodale, il est possible de représenter plusieurs couples sur un même graphique, la distinction des couleurs ou figurés limite, là encore, le nombre de courbes à une quinzaine et réduit la portée synthétique de l’analyse.

La solution à ce problème est à rechercher dans l’automatisation de la production des courbes entre tous les couples de lieux étudiés. Cela permettrait de calculer des indicateurs agrégés de type «pourcentage de temps pendant lequel telle chaîne de transport est plus performante que telle autre» ou «pourcentage de temps pendant lequel l’accessibilité à la date t + Dt est meilleure qu’à la date t». Ainsi, dans l’exemple précédent, l’on pourrait évaluer globalement dans quelle mesure la chaîne intermodale fer-air est susceptible de concurrencer ou de compléter la chaîne aérienne monomodale ou l’on pourrait analyser si la restructuration conjointe de l’offre aérienne et ferroviaire (TGV Méditerranée) entre 1999 et 2001 a altéré ou renforcé la compétitivité relative de la chaîne intermodale fer-air.

2.2. L’accessibilité sous contrainte de destination

Afin de contourner la contrainte liée à la couverture complète de l’espace en valeurs d’accessibilité, il est d’usage de travailler sur un échantillon des lieux de destination. Cet échantillon peut être élaboré à partir de critères liés à la population (accessibilité aux communes de plus de 5 000 habitants), au trafic (accessibilité aux aéroports de plus de 500 000 passagers annuels), aux services offerts (accessibilité à l’échangeur autoroutier le plus proche), etc.

La même démarche d’échantillonnage à partir de critères similaires est souvent effectuée pour les lieux d’origine des déplacements. C’est le cas de la figure 2 qui positionne les communes de plus de 2 000 habitants du Languedoc-Roussillon (origine des déplacements) en fonction de la qualité de leur desserte autoroutière, appréhendée par le temps d’accès automobile en heures creuses au diffuseur autoroutier le plus proche (destination des déplacements), et de leur dynamique démographique, mesurée par la croissance relative de la population entre 1975 et 1999.


Fig. 2: Dynamique démographique et desserte autoroutière en Languedoc-Roussillon
Population dynamic and motorway provision in Languedoc-Roussillon

On remarque que les communes qui ont doublé leur population depuis 1975 sont toutes situées à moins de 20 minutes d’un diffuseur. Cela signifie qu’en Languedoc-Roussillon, il y a globalement une bonne adéquation entre la localisation des pôles à forte croissance démographique et la qualité de la desserte autoroutière. En d’autres termes, les villes les plus dynamiques sont particulièrement bien desservies par les grands axes de communication. Cette approche discrète, indépendante de la dimension temporelle, peut ensuite être étendue à tout l’espace par interpolation.

2.3. Le meilleur temps de parcours

Le meilleur temps de parcours est couramment utilisé comme indicateur de synthèse dans les études d’accessibilité. Il traduit la valeur minimale de l’accessibilité entre un couple de lieux et reflète donc le fonctionnement optimal de la chaîne de transport dans un intervalle de temps donné (par exemple la journée). Sa représentation est généralement unipolaire, mais il est possible de cartographier la somme en ligne ou en colonne de la matrice des meilleurs temps afin d’obtenir un indicateur multipolaire d’accessibilité optimale vers ou depuis l’ensemble des autres lieux étudiés.

Cet indicateur présente cependant l’inconvénient de masquer les variations temporelles inhérentes aux fréquences et horaires de circulation des transports en commun ou à l’état de congestion du réseau routier. Pour un couple de gares, il ne sert à rien de posséder un meilleur temps de parcours ferroviaire exceptionnel si elles ne sont desservies que par un train par jour circulant entre minuit et une heure du matin ! La structure de la desserte et le positionnement horaire des services pour les transports collectifs ainsi que la répartition des flux routiers au cours de la journée sont des éléments clés de l’évaluation des chaînes intermodales de transport.

La représentation du meilleur temps de parcours au départ d’un lieu sous forme d’isolignes est couramment utilisée. Elle permet la couverture complète de l’espace géographique en valeurs d’accessibilité. L’intersection des isolignes avec un découpage administratif (NUTS 3 par exemple) permet de connaître la surface du territoire ou la quantité de population accessible en moins de x minutes. La restitution s’opère sous forme de courbes avec en abscisse une échelle des temps et en ordonnée le pourcentage de surface ou de population accessible correspondante. Il est ainsi possible de comparer différents lieux sur un même graphique ou, pour un même lieu, différentes dates.

2.4. Le temps moyen de parcours

La somme en ligne ou en colonne de la matrice des durées de déplacement à un instant donné permet, pour chaque lieu, de calculer le temps moyen de parcours à destination ou au départ de l’ensemble des autres lieux étudiés (indicateur multipolaire). Dans ce cas il y a d’agrégation spatiale des mesures. Si l’on procède de la même manière pour l’ensemble des matrices comprises dans un intervalle de temps donné, on obtient une moyenne agrégée spatialement et temporellement.

Cela implique de définir avec précision les lieux de destination car les résultats sont fortement dépendants de leur densité. Pour ce faire, les critères d’échantillonnage évoqués précédemment (population, trafic, services, fonctions…) sont également susceptibles de s’appliquer dans le cadre de cet indicateur.

La aussi, l’inconvénient principal est que l’agrégation gomme les spécificités spatiales et temporelles de l’accessibilité. Cette perte d’information est compensée par le caractère synthétique de l’indicateur. Il ressort que l’obtention d’un plus haut niveau de synthèse passe nécessairement par une perte d’information.

3. LES OPPORTUNITÉS OFFERTES À DESTINATION

3.1. Heure minimale d’arrivée et durée maximale disponible à destination

Il s’agit d’une famille d’indicateurs unipolaires très intéressante pour évaluer de manière synthétique la performance des chaînes intermodales impliquant les transports collectifs. Sous contrainte d’une heure de départ donnée et pour chaque lieu d’origine, le premier indicateur consiste à calculer puis à cartographier l’heure minimale d’arrivée à destination. Par exemple, l’on peut étudier la qualité des services intermodaux impliquant le TGV en calculant l’heure minimale d’arrivée à la Grande Arche de la Défense en partant du centre des grandes villes de province après 5 heures du matin. Il est possible de hiérarchiser les villes en fonction de l’heure d’arrivée et donc des potentialités de réunions ou de loisirs offertes à destination.

La durée maximale disponible à destination est une extension de l’indicateur précédent. Elle repose sur un intervalle de temps défini au préalable (par ex. 5h.-21h.) qui fixe l’heure de départ et l’heure de retour à ne pas dépasser. Outre l’heure d’arrivée minimale à destination calculée précédemment, il convient de chercher le dernier service permettant le retour le plus tardif possible dans les limites permises par l’intervalle. La différence entre les deux fournit la durée maximale disponible à destination. Le résultat dépend des fréquences, du positionnement horaire et de la performance des services puisque plus le temps passé à se déplacer est élevé, plus la durée disponible à destination est réduite. Le calcul de cet indicateur est fortement lié au motif de déplacement des usagers car le choix de l’intervalle nécessite une adaptation spécifique pour chaque catégorie de comportements.

Il est également possible d’inverser la logique de calcul. Par exemple, sous contrainte d’une durée disponible à destination de 8 heures, fixée au préalable entre 10h. et 18h., quelle est, le matin, l’heure de départ de son domicile la plus tardive possible et, le soir, l’heure de retour minimale. La soustraction des deux donne le temps minimal à passer hors de son domicile dans le cadre, par exemple, des déplacements quotidiens liés au travail. Certains trajets, pour d’autres motifs, imposeront des contraintes lourdes aux usagers comme l’utilisation d’un train de nuit ou un départ la veille. L’intérêt étant, là aussi, de pouvoir comparer les lieux entre eux et ainsi de les hiérarchiser.

Les limites de ces indicateurs sont essentiellement spatiales. En effet, il existe une multitude de lieux de départ et d’arrivée ce qui réduit le caractère généralisable des résultats. C’est pourquoi l’on retient généralement un temps moyen de pré et post acheminement vers ou depuis le nœud principal du système de transport emprunté.

3.2. Nombre d’allers-retours possibles dans un intervalle de temps

Cet indicateur, plus agrégé que le précédent, est également utilisé pour étudier la qualité des chaînes intermodales intégrant des modes à fonctionnalité temporaire. Il repose sur l’exploration de toute l’information disponible entre un lieu d’origine et un lieu de destination et comptabilise le nombre de trajets aller-retour qu’un individu peut effectuer dans un intervalle de temps donné. Chaque nouveau départ est susceptible de faire croître l’indicateur d’au moins une unité supplémentaire jusqu’à ce que le retour ne soit plus possible dans les temps. Plus le résultat est élevé, plus l’offre est de qualité en termes de fréquence, de temps d’accès et de positionnement horaire des services.

Les travaux menés sur cet indicateur pour évaluer les services ferroviaires régionaux [BAP.02] intègrent progressivement des contraintes permettant de se rapprocher du comportement de l’usager:

Les résultats obtenus sont intéressants du point de vue de l’agrégation temporelle puisqu’ils explorent tous les services offerts dans un intervalle de temps donné. En ce qui concerne l’espace, le calcul de l’indicateur, basé sur des couples origine-destination, implique de travailler sur un échantillon de lieux. L’analyse peut être soit unipolaire en considérant les relations vers un lieu unique de destination [BAP.02], soit multipolaire en calculant les nombre d’allers-retours possibles vers tous les autres lieux de l’échantillon [ROZ.03]. Indépendamment de la valeur obtenue, la seule possibilité d’effectuer l’aller-retour en respectant les contraintes imposées permet de connaître le nombre de lieux accessibles au départ de chacun des lieux de l’échantillon.

Une des limites de cet indicateur réside dans la difficulté d’avoir un résultat à la fois synthétique et proche du comportement des usagers. En effet, à certaines échelles d’analyse, le gain de précision offert par l’ajout de contraintes liées à l’usage des services implique d’adapter l’indicateur à chaque motif de déplacement et, pour un même motif, à chaque famille de comportements. Cela montre qu’une évaluation rigoureuse des chaînes intermodales de transport passe par l’adaptation de certains indicateurs afin d’approcher au plus prêt la capacité des services proposés à répondre correctement ou non aux besoins des différentes catégories d’usagers.

CONCLUSION

Ce travail d’exploration des outils d’évaluation de la performance des chaînes intermodales de transport a permis de mieux approcher les limites respectives des indicateurs spatio-temporels agrégés et désagrégés. L’obtention de résultats synthétiques s’opère au détriment de la précision de l’analyse. Les indicateurs utilisant une partie de l’information disponible (meilleur temps de parcours…) ou les indicateurs agrégés (temps moyen de parcours…) masquent les variations spatiales et temporelles de l’accessibilité. Ces dernières sont repérables à l’aide d’indicateurs désagrégés qui imposent le traitement d’une grande quantité d’information. Ainsi, l’automatisation du calcul des temps de parcours et des représentations graphiques qui en découlent est une condition sine qua non pour analyser de manière exhaustive cette information et pour faire émerger des indicateurs généralisables. Cette piste reste encore largement à explorer.


RÉFÉRENCES

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