PASSET (René), 1995, L'Aménagement du territoire dans une perspective de développement durable in L'Aménagement face au défi de l'environnement sous la dir. de J. P. Carrière et Ph. Mathis, Poitiers: ADICUEER.
Le thème du développement durable (DD) émerge à partir des années 80 avec l'apparition des pollutions dites «globales»:
L'origine du DD est donc lié au risque de perturbation des grands mécanismes régulateurs de la planète par les activités humaines.
Le problème n'est plus seulement de l'ordre de l'environnement (atteintes ponctuelles et localisées liées au dysfonctionnement du système économique) mais de l'ordre de la biosphère en tant que système complexe auto-régulé et auto-reproducteur d'interactions dans les régulations et la reproduction. Le rôle de l'espèce humaine dans ce système est central.
Entrent donc en conflit:
C'est une «croissance complexifiante multidimensionnelle» qui se traduit par:
C'est l'entrée du très long terme de la solidarité intergénérationnelle dans la vie économique.
En intégrant le très long terme, l'économie prend conscience que les flux de matière et d'énergie transformés par les hommes menacent les flux de matière et d'énergie brassés par les grands cycles bio-géo-chimiques.
Le développement économique comme l'évolution naturelle est un processus de destruction-créatrice qu'il convient d'harmoniser pour assurer leur co-évolution.
Cette mutation se traduit par l'émergence de l'immatériel et son corollaire, la substitution de l'information à l'énergie. Ainsi, les processus productifs sont plus efficaces et plus économes en flux réels.
L'information est toute entière relation. Pour une firme, le relationnel et donc la qualité du milieu d'accueil est prépondérant au moment du choix de sa localisation. Dès lors, la concentration géographique suscite la concentration géographique. Cette dernière entraîne la surcharge du milieu alors que parallèlement des parties entières du territoire se désertifient et ne sont plus entretenues.
La disparition de la contrepartie productive attribuable à chaque facteur et l'apparition du RMI et autres revenus minimum garantis peut avoir des répercussions sur l'occupation et l'entretien de l'espace. En effet, en assurant la survie des individus, la garantie du revenu peut inciter un certain nombre d'entre eux à se maintenir, grâce notamment à des activités d'appoint non rentables en elles-mêmes, sur des zones menacées d'abandon et à participer à leur entretien.
La double évolution des transports et des technologies de l'information fait de la planète un seul et même espace (Cf. la globalisation). Tout se passe comme si le temps et l'espace avaient disparu pour laisser la place à un vaste réseau immatériel d'interdépendances. La finance qui, par l'intermédiaire des ordres d'achat, se déplace de plus en plus vite accroît son emprise sur l'appareil productif. Ainsi, ce dernier n'a plus pour objectif de produire, de mettre en valeur un territoire ou d'assurer le mieux-être des hommes mais de rentabiliser un patrimoine financier.
Les firmes se localisent et se délocalisent hors de toute perspective territoriale en recherchant la rentabilité financière à court terme (Cf. Dumping social de Hoover). La firme elle-même devient une marchandise comme les autres (Cf. les dépeçages boursiers). La vie de l'entreprise guidée par le court terme s'oppose aux perspectives longues de l'environnement et de la biosphère.
En ce qui concerne la ressource humaine (au cur du DD) la recherche de la maximisation de la rentabilité économique conduit à réinvestir en permanence les surplus de productivité dans l'investissement de productivité au détriment de l'emploi. Ainsi comme le travail reste le principal facteur d'intégration, l'exclusion ne cesse de s'aggraver.
La Nature constitue un sujet de droit et doit être respectée pour elle-même, indépendamment des intérêts de l'espèce humaine. Question: jusqu'où va le respect ? Le virus du SIDA par exemple appartient à la nature ! Faut-il dès lors sacrifier l'homme ?
Partant du constat de l'extinction progressive des astres conduisant à la mort thermique de l'Univers l'attitude défensive repose sur le fait que toute transformation de la nature et donc toute activité humaine ne peut qu'accélérer cette évolution (car aucune machine n'a un rendement égal à l'unité d'où perte d'énergie). Dès lors, la seule stratégie concevable est une stratégie défensive de réduction, voire d'inversion de la croissance!
Il s'inscrit dans le mouvement de destruction-créatrice (Cf Big Bang, formation des galaxies, apparition de la vie sur au moins une planète). Le rayonnement solaire véhicule une entropie, mais il constitue aussi le phénomène grâce auquel la vie apparaît, s'étend, se complexifie. Il représente également la force qui anime les cycles par lesquels énergies et matières dégradées se recomposent inlassablement. L'entropie est le prix à payer pour la création.
On ne peut donc pas affirmer que l'action humaine ne peut qu'accélérer la dégradation de la planète. Inversement il est faut de prétendre que la biosphère finira toujours quoi que nous fassions par s'auto-réguler (hypothèse Gaîa) car les ajustements résultants de l'auto-régulation risquent de dépasser les limites extrêmement fines permettant l'épanouissement de la vie.
Ainsi le développement durable récuse l'idée que le simple rétablissement de la vérité marchande suffit à sécréter la norme de reproduction de la nature, et il rejette (par ce que la vie est évolution) la perspective d'une croissance nulle ou négative. On parle de gestion normative sous contrainte.
L'objectif est d'articuler, sans réductionnisme ni exclusion, les logiques différentes et en partie contradictoires de la nature que l'on transforme, de l'économie qui la transforme et des hommes pour lesquels on la transforme.
Ce modèle subordonne l'optimisation économique au respect des contraintes environnementales majeures que sont:
Ce modèle exprime la dimension réelle des flux économiques en termes énergétiques. Il confronte ces flux à la capacité de charge (elle-même exprimée énergétiquement) des systèmes économiques et naturels au sein desquels ils se déploient.
C'est pourquoi, le philosophe allemand Hans JONAS propose un «principe responsabilité» formulé de la façon suivante: «Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre».
Le problème soulevé par ce principe réside dans le contenu de la vie «authentiquement humaine» que l'on entend assurer aux générations futures, lequel ne saurait être objectivement établi. Quelles seront les sources de satisfaction de ces dernières ? Notre appréciation sur ce point dépend des jugements de valeur de chacun.
Pour René Passet, l'essentiel n'est pas là. Il se situe dans l'apparition de l'éthique dans le champ du questionnement économique.