Éditorial

Émergences et cohérence

À chaque époque, ses combats et ses enjeux. Ceux de la géographie d’aujourd’hui ont pour nom la mondialisation, dans ses dimensions géopolitiques, comme dans celles de l’articulation des logiques du monde et des évolutions de la planète, mais aussi dans celles de l’inégalité et du développement; la démultiplication des portées et des fréquences des mobilités et des échanges, qui complexifient les entités géographiques en désemboîtant les niveaux, en rendant les limites plus floues, les recompositions plus rapides et les pratiques plus fluides; la médiatisation, de plus en plus prégnante et multiforme, des rapports aux lieux et à l’espace, qui change les contenus et les significations des identités et des appartenances territoriales, tout en en reconfigurant les réseaux.

Face à ces défis contemporains, la géographie se mobilise. Non dans le monolithisme, mais avec le souci de la cohérence de points de vue scientifiques différents; non pas en rejetant son passé, mais en faisant valoir, dans un rapport critique, l’actualité de bien des questions qu’elle a formulées pour expliquer et comprendre la diversité du monde; non pas dans l’isolement scientifique, mais en sachant nouer des liens dans la pluridisciplinarité; et avec la nécessaire ouverture aux débats intellectuels internationaux.

Si les géographes savent faire réfléchir au rôle des situations dans l’imposition et l’évolution de la puissance, au point que le mot de géographie s’intègre dans le débat public autrement que dans son acception triviale, toponymique ou topographique, s’ils savent transmettre l’usage de leurs concepts avec leurs articulations propres, non seulement aux sciences sociales mais aussi à d’autres disciplines, s’ils savent faire reconnaître leur savoir-faire en ingénierie des territoires1, non seulement par leurs talents de géomaticiens mais surtout par leur capacité à mettre les systèmes d’information géographique au service de questions de géographie, s’ils savent enfin faire rêver des lieux jusqu’à inspirer artistes ou créateurs, alors nous pourrons affirmer notre fierté d’être géographe.

Espace géographique, par sa tradition, a vocation à participer à ces enjeux intellectuels. Dans le pluralisme et l’exigence, dans le souci du renouvellement mais aussi du savoir accumulé, de l’attention aux émergences tout autant qu’au patient travail de consolidation théorique. Certes, tous les acteurs de la revue, comité de rédaction, auteurs, lecteurs, contribuent à cette qualité, chacun avec ses ouvertures. Une oeuvre collective se réalise aussi à travers l’impulsion et l’animation que savent lui apporter ceux qui en ont la responsabilité, et c’est bien là l’engagement que nous prenons au nom de tous.

Denise Pumain et Marie-Claire Robic