RAS - Jeudi 21 septembre 2000 – - Fiche de lecture

PASSET (René), 1995, L'Aménagement du territoire dans une perspective de développement durable in L'Aménagement face au défi de l'environnement sous la dir. de J. P. Carrière et Ph. Mathis, Poitiers: ADICUEER.

Les origines du développement durable

Le thème du développement durable (DD) émerge à partir des années 80 avec l'apparition des pollutions dites «globales»:

L'origine du DD est donc lié au risque de perturbation des grands mécanismes régulateurs de la planète par les activités humaines.

Le problème n'est plus seulement de l'ordre de l'environnement (atteintes ponctuelles et localisées liées au dysfonctionnement du système économique) mais de l'ordre de la biosphère en tant que système complexe auto-régulé et auto-reproducteur d'interactions dans les régulations et la reproduction. Le rôle de l'espèce humaine dans ce système est central.
Entrent donc en conflit:
Une logique présidant au processus du développement
Et une logique régissant les mécanismes assurant la reproduction du milieu naturel

Qu'est ce que le développement ?
Ce n'est pas une simple croissance du produit national.
C'est une «croissance complexifiante multidimensionnelle» qui se traduit par:
Un double mouvement de diversification et d'intégration permettant au système de croître en se réorganisant, sans perdre sa cohérence (ex: firmes)
La prise en compte de la qualité des relations entre les hommes et avec leur environnement naturel (ex: une croissance du PIB accompagnée d'exclusion sociale, de déculturation et d'une dégradation du milieu naturel n'est pas un développement).

Le rapport Brundtland
Pour être durable, le développement doit «répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre à leurs propres besoins»
C'est l'entrée du très long terme de la solidarité intergénérationnelle dans la vie économique.
En intégrant le très long terme, l'économie prend conscience que les flux de matière et d'énergie transformés par les hommes menacent les flux de matière et d'énergie brassés par les grands cycles bio-géo-chimiques.

La mutation économique contemporaine menace la relation homme-espace
Il s'agit bien de mutation économique et non de crise car l'évolution observée n'est pas un simple écart provisoire à une norme que le système retrouverait un jour, mais un changement de norme et de mode de régulation du système.
Le développement économique comme l'évolution naturelle est un processus de destruction-créatrice qu'il convient d'harmoniser pour assurer leur co-évolution.
Cette mutation se traduit par l'émergence de l'immatériel et son corollaire, la substitution de l'information à l'énergie. Ainsi, les processus productifs sont plus efficaces et plus économes en flux réels.

Conséquences:
Relâchement de la pression exercée sur les cycles bio-géo-chimiques
Production moins traumatisante pour les milieux naturels et géographiques
Concentration géographique et désertification
L'information est toute entière relation. Pour une firme, le relationnel et donc la qualité du milieu d'accueil est prépondérant au moment du choix de sa localisation. Dès lors, la concentration géographique suscite la concentration géographique. Cette dernière entraîne la surcharge du milieu alors que parallèlement des parties entières du territoire se désertifient et ne sont plus entretenues.
Maintien des catégories de population les moins aisées dans les zones à faible densité
La disparition de la contrepartie productive attribuable à chaque facteur et l'apparition du RMI et autres revenus minimum garantis peut avoir des répercussions sur l'occupation et l'entretien de l'espace. En effet, en assurant la survie des individus, la garantie du revenu peut inciter un certain nombre d'entre eux à se maintenir, grâce notamment à des activités d'appoint non rentables en elles-mêmes, sur des zones menacées d'abandon et à participer à leur entretien.
Rentabiliser le patrimoine financier au détriment du territoire et des hommes
La double évolution des transports et des technologies de l'information fait de la planète un seul et même espace (Cf. la globalisation). Tout se passe comme si le temps et l'espace avaient disparu pour laisser la place à un vaste réseau immatériel d'interdépendances. La finance qui, par l'intermédiaire des ordres d'achat, se déplace de plus en plus vite accroît son emprise sur l'appareil productif. Ainsi, ce dernier n'a plus pour objectif de produire, de mettre en valeur un territoire ou d'assurer le mieux-être des hommes mais de rentabiliser un patrimoine financier.

Les firmes se localisent et se délocalisent hors de toute perspective territoriale en recherchant la rentabilité financière à court terme (Cf. Dumping social de Hoover). La firme elle-même devient une marchandise comme les autres (Cf. les dépeçages boursiers). La vie de l'entreprise guidée par le court terme s'oppose aux perspectives longues de l'environnement et de la biosphère.
En ce qui concerne la ressource humaine (au cœur du DD) la recherche de la maximisation de la rentabilité économique conduit à réinvestir en permanence les surplus de productivité dans l'investissement de productivité au détriment de l'emploi. Ainsi comme le travail reste le principal facteur d'intégration, l'exclusion ne cesse de s'aggraver.

Harmoniser les processus dynamiques de l'évolution naturelle et du développement économique
Ce sont les flux physiques (et non monétaires) transformés par l'économie qui menacent les grands cycles bio-géo-chimiques par lesquels s'exprime le mouvement de destruction créatrice de la planète. On doit donc préserver des processus et non pas des formes. Cela passe par l'harmonisation des processus dynamiques de l'évolution naturelle et du développement économique.
L'attitude conservationniste de l'écologie profonde (Aldo Léopold)
La Nature constitue un sujet de droit et doit être respectée pour elle-même, indépendamment des intérêts de l'espèce humaine. Question: jusqu'où va le respect ? Le virus du SIDA par exemple appartient à la nature ! Faut-il dès lors sacrifier l'homme ?
L'attitude défensive (Georgescu Roegen)
Partant du constat de l'extinction progressive des astres conduisant à la mort thermique de l'Univers l'attitude défensive repose sur le fait que toute transformation de la nature et donc toute activité humaine ne peut qu'accélérer cette évolution (car aucune machine n'a un rendement égal à l'unité d'où perte d'énergie). Dès lors, la seule stratégie concevable est une stratégie défensive de réduction, voire d'inversion de la croissance!
Le développement durable
Il s'inscrit dans le mouvement de destruction-créatrice (Cf Big Bang, formation des galaxies, apparition de la vie sur au moins une planète). Le rayonnement solaire véhicule une entropie, mais il constitue aussi le phénomène grâce auquel la vie apparaît, s'étend, se complexifie. Il représente également la force qui anime les cycles par lesquels énergies et matières dégradées se recomposent inlassablement. L'entropie est le prix à payer pour la création.
On ne peut donc pas affirmer que l'action humaine ne peut qu'accélérer la dégradation de la planète. Inversement il est faut de prétendre que la biosphère finira toujours quoi que nous fassions par s'auto-réguler (hypothèse Gaîa) car les ajustements résultants de l'auto-régulation risquent de dépasser les limites extrêmement fines permettant l'épanouissement de la vie.
Ainsi le développement durable récuse l'idée que le simple rétablissement de la vérité marchande suffit à sécréter la norme de reproduction de la nature, et il rejette (par ce que la vie est évolution) la perspective d'une croissance nulle ou négative. On parle de gestion normative sous contrainte.

L'objectif est d'articuler, sans réductionnisme ni exclusion, les logiques différentes et en partie contradictoires de la nature que l'on transforme, de l'économie qui la transforme et des hommes pour lesquels on la transforme.

Les modèles relevant de cette logique de développement durable
Le modèle BARBIER et MARKANDYIA (École de Londres)
Ce modèle subordonne l'optimisation économique au respect des contraintes environnementales majeures que sont:
Les rythmes de reconstitution des ressources renouvelables
Les perspectives de substitution de nouvelles ressources à des ressources épuisables
Les rythmes d'auto-épuration des milieux
Le modèle ECCO (Enhancement of Carrying Capacity Options) de KING et SLESSER
Ce modèle exprime la dimension réelle des flux économiques en termes énergétiques. Il confronte ces flux à la capacité de charge (elle-même exprimée énergétiquement) des systèmes économiques et naturels au sein desquels ils se déploient.

Entrée de l'éthique en économie grâce à la perspective de solidarité intergénérationnelle
Les conséquences de nos actes s'étendent à la planète toute entière et au sort des générations futures. Devant les atteintes globales portées à la biosphère, les hommes peuvent être individuellement innocents et collectivement responsables ; tous coupables et victimes en même temps ; et surtout il ne saurait y avoir entre générations présentes et générations encore inexistantes cette réciprocité sur laquelle se fondraient les droits et devoirs des uns envers les autres.

C'est pourquoi, le philosophe allemand Hans JONAS propose un «principe responsabilité» formulé de la façon suivante: «Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre».

Le problème soulevé par ce principe réside dans le contenu de la vie «authentiquement humaine» que l'on entend assurer aux générations futures, lequel ne saurait être objectivement établi. Quelles seront les sources de satisfaction de ces dernières ? Notre appréciation sur ce point dépend des jugements de valeur de chacun.

Pour René Passet, l'essentiel n'est pas là. Il se situe dans l'apparition de l'éthique dans le champ du questionnement économique.