Développement durable et (bio) diversité:
point de vue.

Par Sandrine Lamotte, décembre 2000.


Sur le thème difficile du développement durable, dans la mesure où il concerne la pérennité de notre milieu de vie, pérennité qui se trouve actuellement remise en question (d'autant plus que les échecs des négociations sur des accords urgentissimes et indispensables s'accumulent – voir la conférence de La Haye), il peut être intéressant de voir l'évolution des points de vue sur l'urgence des mesures à prendre, et de se référer également à des textes qui datent quelque peu.

Par exemple, l'optique tantôt alarmiste, tantôt rassurante des uns et des autres change avec le temps, et le thème concerné.

La diversité spécifique (abusivement dénommée biodiversité, en oubliant la diversité écologique et la diversité génétique, mais aussi la diversité culturelle) a eu ses heures de gloire, la couche d'ozone également, aujourd'hui, c'est la qualité de l'air, même si le trou dans la couche d'ozone au-dessus de l'antarctique s'agrandit et atteint aujourd'hui le sud de la Patagonie: on n'en entend plus parler, sauf dans les revues spécialisées.

Les problème s'aggravent, la banquise fond depuis 10 ans, mais il paraît que l'influence de la déforestation sur le climat n'est pas encore prouvée, selon des écrits récents (1999) d'auteurs ayant pignon sur rue (alors que la pluviométrie en Gambie a été diminuée par deux en 30 ans, au rythme de la disparition du couvert forestier. Sce: WRI).

Par ailleurs, si l'on considère le rythme de diversification spécifique dans le bassin amazonien depuis les dernières périodes sèches, on peut envisager que la spéciation s'y soit effectuée beaucoup plus rapidement qu'on le pense généralement. Par exemple, on avance généralement des durées de l'ordre de millions d'années pour expliquer la grande diversité spécifique des forêts équatoriales. Mais depuis les dernières périodes sèches, où il semble que les forêts aient été limitées à quelques zones dites «refuges» en Amazonie, il ne s'est passé que quelques dizaines de milliers d'années. Or, l'Amazonie est aujourd'hui entièrement boisée, et tous les auteurs s'accordent sur sa diversité spécifique extrême… La contradiction est flagrante entre deux points de vue qui s'opposent: l'un défend la stabilité des conditions écologiques comme condition indispensable à la diversité spécifique ; l'autre tend à montrer que sur des courtes périodes, une grande diversité peut se mettre en place. Tout un débat autour de ce thème est actuellement en cours, auquel à ma connaissance personne ne peut encore apporter de réponse car les données sur la vitesse de la spéciation sont rarissimes du fait que cette dernière se fait à une échelle de temps difficile à appréhender


Cet exemple illustre la difficulté d'envisager clairement la question de la dégradation de l'environnement: les domaines concernés sont vastes, concernent de grandes étendues, des populations nombreuses, des quantités de matière gigantesques... qu'à l'échelle humaine (spatiale et temporelle), on a bien du mal à appréhender et à évaluer. Face à l'envergure des phénomènes, la tendance habituelle se situe soit du côté d'un alarmisme catastrophiste, soit du côté d'un optimisme idéaliste. La situation est nouvelle, et récente. On hésite entre la prise de conscience du danger, et l'idée que de toutes façons, «ça s'arrangera forcément!». Comment, en effet, envisager que les choses ne s'améliorent pas ? Comment concevoir que la vie disparaisse de la surface du globe ? Comment imaginer que l'homme, être vivant, détruise la vie, et donc lui avec ? Du point de vue philosophique, c'est une idée que l'on refuse instinctivement. C'est pourquoi: tout espoir est permis !

Ceci étant posé, on sait avec certitude que les phénomènes s'accélèrent. Et qu'il est impératif et nécessaire d'agir.

Il semble donc particulièrement important de se référer à des données précises (le WRI et Greenpeace en donnent de précieuses sur les forêts), d'insister sur la nécessité du principe de précaution, de développer au maximum la réflexion sur l'échelle des phénomènes: en tant que géographes, c'est donc un thème qui devrait nous séduire ! Eviter autant le catastrophisme qu'un optimiste excessif, en rappelant peut-être une chose:
il y a vingt ans, les prévisions démographiques sur la population mondiale nous promettaient une catastrophe majeure pour la fin du 20e siècle. L'évolution prévue ne s'est pas produite car les sociétés ont su réagir à temps pour modérer la tendance. Les prévisions agronomiques sur l'alimentation humaine étaient des plus pessimistes. Là aussi, les prévisions ont été démenties par les faits: on sait aujourd'hui que ce n'est pas la quantité de denrées alimentaires qui fait défaut, mais que sa répartition ne permet pas à certains secteurs de la population d'y avoir accès de façon suffisante.

Les projections linéaires dans le temps ne tiennent pas compte d'une chose: l'évolution constante de la vie et de ses rythmes, ses «stratégies adaptatives».

En termes de préservation des ressources de la planète, un optimisme mesuré peut également permettre de penser que l'évolution de la situation peut prendre une orientation plus favorable qu'actuellement. Obligatoirement, plus les problèmes seront graves, plus la mobilisation pour les résoudre sera grande. Le risque à l'échelle de l'humanité, vu l'ampleur des phénomènes enclenchés: c'est le seuil irréversible.

Enfin il semble fondamental d'aborder, en tant que géographes, un aspect de la diversité dont ces derniers parlent peu: c'est la diversité des sociétés, la diversité des hommes, la diversité culturelle. La «biodiversité» c'est la diversité du vivant: donc: végétal, animal et humain. Il serait particulièrement choquant d'oublier de mentionner la disparition de dizaines, voire de centaines d'ethnies depuis 500 ans dans les forêts tropicales du monde et ailleurs. Ce sont des êtres humains qui ont été anéantis par millions. Et avec la richesse culturelle disparue en même temps que ces sociétés, c'est bien une partie de notre humanité qui a été anéantie.

Il reste aujourd'hui environ 200 millions d'indigènes, soit 4% de la population mondiale, vivant dans des territoires qui dans de nombreux cas ont des taux de biodiversité exceptionnellement élevés. Il faut insister sur le fait que ces peuples vivent entièrement dans et du milieu qu'ils occupent, qu'ils sont les seuls à maîtriser l'utilisation de leurs ressources et leur renouvellement sur une base réellement durable, grâce à un immense savoir sur le milieu et les modes possibles de leur utilisation.

Le développement durable, c'est aussi la pérennité de formes de pensée les plus diverses possibles. L'humanité ne peut se développer durablement sans cette diversité.


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