LES BALBUTIEMENTS DU TOURISME MAHORAIS

Jean-Christophe Gay
CREGUR, université de la Réunion
MIT, université Paris-VII

Les événements d’Anjouan ont replacé sur le devant de la scène internationale l’archipel des Comores, dont une de ses îles - Mayotte - est depuis 1976 une collectivité territoriale de la République française, alors que les trois autres sont indépendantes depuis 1975. Le recensement d’août 1997 révèle l’explosion démographique de cette île de 374 km2, la population y ayant augmenté de 39 % en six ans, passant de 94 000 à 131 000 habitants.

Cette explosion démographique, renforcée par une structure de la population très jeune - plus de 60 % des habitants ont moins de vingt ans et Mayotte pourrait compter 260 000 habitants en 2010 -, constitue pour les autorités un défi bien difficile à relever. Sur le plan économique, l’île est totalement dépendante de la métropole et de l’Europe. Les recettes d’exportation, provenant essentiellement de l’essence d’ylang-ylang et de la vanille, sont en forte baisse alors que les importations augmentent rapidement. Le taux de couverture en 1996 est tombé à 5,7 % si l’on prend en compte les produits réexportés ! Dans un tel contexte, le tourisme aux yeux de certains constitue la solution providentielle pour développer Mayotte et la sortir de cette impasse.

1. Une destination confidentielle

1.1. La difficile mesure du tourisme

Connaître l’évolution du nombre de touristes à Mayotte relève du tour de force. Les estimations sont contradictoires et les séries ne sont pas continues. Certains ont une conception maximaliste du phénomène. À défaut de posséder des études fiables, ils assimilent le flux touristique aux arrivées aux frontières. Ainsi, pour examiner la saisonnalité, l’IEOM met dans un même panier les résidents à Mayotte, les non-résidents venant y travailler et ceux qui y viennent en vacances[1]. À ce flou conceptuel, qui n’est pas particulier aux données mahoraises[2], se rajoute depuis 1995, le fait que les passagers débarquant à l’aéroport n’ont plus à remplir une fiche de renseignements, rendant l’analyse encore plus difficile. Afin de pallier à cette lacune, révélatrice de la modestie du tourisme, la Direction de l’aménagement et du développement, en collaboration avec le Comité territorial du tourisme, a réalisé des enquêtes quotidiennes auprès des passagers aériens embarquant pour la Réunion, le Kenya, Madagascar et les Seychelles entre le 1.7.96 et le 30.6.97. Depuis cette date, on ne dispose à nouveau plus d’informations sur le flux touristique.

Pour comparer les données d’avant 1995 avec celles de 1996-1997, il était nécessaire d’appliquer à celles-là les définitions choisies pour celles-ci et qui sont calquées sur celles de la Réunion. Ainsi, après ces corrections, on se rend compte que le flux touristique a connu une progression notable. Au cours des années quatre-vingt, le nombre annuel de touristes est passé de 1 000 environ à 3 500. Il a continué d’augmenter régulièrement, atteignant 6 000 en 1992 et 8 815 de juillet 1996 à juin 1997.

1.2. Le nain touristique de l’océan Indien

À l’échelle des États et Territoires insulaires de l’océan Indien, Mayotte n’est qu’une destination mineure (tableau 1). Elle ne constitue que 0,6 % de la fréquentation touristique totale et se trouve en dernière position de ce classement[3]. La pression touristique y est particulièrement faible et comparable à celle de la République fédérale islamique des Comores, alors que, par sa taille, Madagascar constitue un cas particulier. Maurice reçoit 55 fois plus de touristes et la Réunion 40 fois plus.

Tableau 1: Éléments de comparaison du tourisme dans les territoires et États insulaires de l’océan Indien en 1996

 

Nombre de touristes

Nombre de touristes/habitant/an

Nombre de touristes/km2/an

Part dans la fréquentation totale de la zone (en %)

Maurice

487 000

0,43

257

34

Réunion

347 000

0,51

138

24,2

Maldives

339 000

1,29

1 138

23,6

Seychelles

131 000

1,76

446

9,1

Madagascar

85 000

0,005

0,14

5,9

Comores

25 000

0,04

11,5

1,8

Rodrigues

12 000

0,34

111

0,8

Mayotte

8 800

0,07

24

0,6

ENSEMBLE

1 434 800

0,07

2,4

100

1.3. Le poids de l’appartenance politique

L’île est fréquentée très majoritairement par des Français. Ils représentaient 76 % de l’ensemble des touristes en 1991 et 91 % en 1996-1997. Le renforcement de cette clientèle semble être principalement lié à une venue plus importante de métropolitains. En effet, alors qu’ils étaient moins nombreux que les Réunionnais au début des années quatre-vingt-dix (1 180 - soit 25 % du total - contre 2 410 - soit 51 % du total - en 1991), ils représentent maintenant plus de la moitié des touristes (52 % soit 4 500 personnes) contre 39 % pour les Réunionnais.

Ce renversement s’expliquerait par la croissance du tourisme affinitaire - c’est-à-dire des personnes rendant visite à des amis ou à la famille - dû à l’augmentation du nombre de métropolitains y résidant et à la baisse du prix du voyage aérien métropole-Mayotte. En 1996-1997, la venue de 44 % des touristes avait pour objet principal la visite à des amis ou à de la famille, alors que les «touristes d’agrément» - ceux qui viennent dans le cadre de leurs congés et logent dans des structures hôtelières ou parahôtelières - ne représentaient que 21,4 % du flux total. Outre qu’à la Réunion le phénomène est assez semblable, puisqu’en 1996 les touristes affinitaires ont constitué plus du tiers des touristes, ceci n’a rien d’exceptionnel pour la France, car plus de la moitié des touristes français restant en métropole opte pour ce genre d’hébergement non commercial[4], ce qui montre qu’il s’agit d’un trait national s’appliquant aussi à l’outre-mer. La durée moyenne du séjour dépasse les quinze jours pour ce type de touristes, alors qu’elle n’est que de neuf jours pour les touristes d’agrément. Les quelques centaines d’étrangers qui se sont rendus à Mayotte en 1996-1997 rentrent presque exclusivement dans la catégorie des «touristes d’agrément». Ils sont très majoritairement des Européens (Italiens, Allemands, Suisses), alors que les Sud-Africains sont extrêmement rares.

La saisonnalité est assez peu marquée (graphique 1). Le calendrier scolaire réunionnais et la venue de métropolitains après la saison des pluies, à partir d’avril-mai, et pendant l’été boréal se complètent. Le seul véritable creux est le mois de septembre. Cette relative régularité est à mettre aussi sur le compte d’un autre type de visite: les voyages d’affaires.

2. Une fréquentation pas toujours touristique

2.1. Des voyages d’affaires fort nombreux

Plus du tiers des personnes considérées comme touristes (34,6 %) viennent dans le cadre de leur travail. Ce «tourisme d’affaires» porte fort mal son nom. En effet, c’est un déplacement professionnel dans lequel l’individu ne choisit pas sa destination et n’est pas en vacances[5]. Il ne suffit pas d’utiliser des équipements fréquentés par des touristes, tels que les hôtels, pour transformer un homme d’affaires en touriste. Encore une autre source de confusion des statistiques du tourisme ! Nous parlerons plutôt de voyages d’affaires sans toutefois les exclure dans la mesure où ils ont précédé le tourisme et qu’ils influent toujours fortement sur l’hôtellerie.

2.2. Une hôtellerie dont la localisation désigne sa clientèle

La capacité d’accueil hôtelière, malgré un doublement en huit ans, reste modeste. On est passé de 57 chambres en 1989 à 101 chambres en 1997, auxquelles il faut ajouter 26 chambres parahôtelières, en gîte ou en appartements meublés, louées quelques semaines par des métropolitains affectés à Mayotte et à la recherche d’un logement. Le taux d’occupation des principaux hôtels est satisfaisant voire très élevé, expliquant que des extensions vont être prochainement réalisées. Ainsi le Caribou - au cœur de Mamoudzou, capitale économique de l’île - est proche de la saturation avec un taux de remplissage en 1996 de 88 %. Aussi, 50 chambres devraient se rajouter au cours de l’année 1998 aux 21 actuelles. Le Trévani-Village, a un taux de remplissage de 63 % et le Jardin Maoré doit plus que doubler sa capacité d’accueil avec la construction en 1998 de 20 bungalows supplémentaires, en partie financés par la Caisse française de développement.

En dépit de cet essor imminent, cette activité apparaît encore largement à l’état rudimentaire. Les grandes chaînes hôtelières y sont absentes. Le rapport qualité-prix est médiocre avec un niveau de prestations relativement bas, partout en deçà des standards internationaux. Contrairement aux départements d’outre-mer, les salaires sont ici relativement faibles, le Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) étant, par exemple, inférieur de 60 % à celui de la Réunion. Ils sont néanmoins supérieurs à ceux des États voisins, en particulier Madagascar. Tous ces hôtels sont trop petits pour avoir une véritable animation nocturne. Leurs charges d’exploitation, hors salaires, sont très élevées. Les coûts d’approvisionnement sont excessifs, eu égard à l’absence de prix de gros. La main-d’œuvre qualifiée manque cruellement, l’école hôtelière locale ne semblant pas jouer son rôle. Le nombre de personnes travaillant dans l’hôtellerie est faible, avec moins de un emploi par chambre et monte à environ 1,2 dans les trois principaux hôtels cités précédemment, loin des chiffres mauriciens ou seychellois et proches des valeurs réunionnaises.

Sur le plan de leur localisation, on peut classer ces hôtels en deux catégories (carte 1):

Les premiers sont essentiellement fréquentés par des commerçants ou des cadres en voyage d’affaires ainsi que par des fonctionnaires en mission. Dans le plus important d’entre eux, le Caribou, 60 % de ce type de clients viennent de métropole et 40 % de la Réunion. La saisonnalité de ce flux est faible. Les établissements balnéaires quant à eux, ont une clientèle dite d’agrément composée essentiellement de Réunionnais (80 % au Jardin Maoré vendu uniquement à la Réunion; 45 % au Trévani-Village, hôtel privé géré par le groupe Accor et donc commercialisé en métropole par plusieurs voyagistes, tels que MVM, Africa Tours ou Nouvelles Frontières).

L’importance des Réunionnais au Jardin Maoré explique qu’il fait le plein lors des vacances scolaires de ce DOM, alors que le Trévani-Village est moins sensible à ces variations intra-annuelles et ne connaît qu’un creux notable en septembre.

3. Les limites de l’ «attrait naturel»

3.1. L’ «île au lagon»… inconnu

Remplaçant «L’île aux parfums», abandonné car identique à celui des Comores, le slogan touristique de Mayotte est depuis 1996 «L’île au lagon». En effet, dans cet ensemble insulaire du sud-ouest de l’océan Indien la taille du lagon mahorais avec ses 1 000 km2 constitue une originalité. D’autre part, d’immenses tortues marines le fréquentent et figurent d’ailleurs sur le logo touristique de l’île. Hyperboliquement évoqué dans les brochures et les livres promotionnels, qui en font «le plus grand lagon fermé du monde», oubliant ceux de l’océan Pacifique[6], il apparaît aux yeux de beaucoup comme un atout décisif qui doit un jour ou l’autre susciter un développement touristique.

Ce point de vue déterministe est extrêmement naïf. C’est le regard des hommes qui est au cœur du processus de mise en tourisme. Outre qu’il existe des révolutions des «modèles de vision»[7] qui font voler en éclat l’idée d’ «attraction des lieux» - un type de lieu totalement détesté ou négligé pouvant devenir brutalement attirant et vice versa, ce qui remet en question le lien simpliste entre figement et durabilité[8] -, à l’intérieur d’une phase de stabilité du regard il est difficile de se substituer au choix des hommes. Pour que cette élection se produise, il faut au préalable faire connaître le lieu, ce qui n’est pas facile. Mayotte reste largement ignorée du grand public français et a fortiori européen. De surcroît, on peut émettre quelques doutes sur l’efficacité d’une promotion axée sur une activité pointue telle que la plongée avec bouteilles, dont l’enquête de 1996-1997 a révélé qu’elle n’était pratiquée que par une minorité de touristes. Ainsi, au dernier trimestre 1996, 270 personnes ont bénéficié d’une opération publicitaire qui a coûté très cher à la collectivité, puisqu’on vendait 4 000 FRF le billet d’avion Réunion-Mayotte-Réunion, six nuits en hôtel et en demi-pension ainsi qu’une plongée quotidienne avec bouteilles, soit la moitié du prix réel, l’autre moitié étant payée par l’État. Le subventionnement à outrance du flux n’est peut-être pas le meilleur moyen de développer le tourisme, d’autant que des carences graves existent sur le plan des infrastructures et nuisent à cette activité.

 3.2. Des aménités insuffisantes

Quoique la situation se soit récemment améliorée, les hôtels pâtissent d’un certain nombre de problèmes qui se posent sur toute l’île et qui peuvent affecter l’agrément du séjour. La question de l’approvisionnement en eau est sûrement la plus épineuse. De mai à octobre le climat mahorais est sec. Pendant cette saison, la distribution de l’eau est irrégulière avec des coupures pouvant durer plusieurs jours. La conjonction d’une sécheresse particulièrement accusée en 1995 et de l’augmentation des consommateurs, liée à la croissance démographique, fut à l’origine d’une situation grave cette année-là. L’interconnexion des réseaux en 1996 améliora la situation, mais ce n’est que la réalisation prochaine d’une retenue collinaire qui résoudra le problème. Les hôtels sont équipés de citernes qu’ils remplissent les jours où l’eau est distribuée. Plusieurs mois par an, par arrêté préfectoral, les piscines ne peuvent plus être utilisées, les hôteliers s’en servent alors de citerne ou les vident. L’eau distribuée est bien évidemment non potable et Mayotte est encore impaludée.

Concernant l’électricité la situation s’est sensiblement améliorée récemment tout comme pour le téléphone, bien que ce dernier ne fonctionne pas encore parfaitement sur toute l’île. Il reste le problème des ordures. Certains rivages ou cours d’eau aux abords des villages sont de véritables dépotoirs, les campagnes d’information auprès de la population n’ayant, semble-t-il, pas encore eu d’effets significatifs.

3.3. Une desserte aérienne perfectible

L’indépendance des Comores en 1975 a profondément isolé Mayotte. Ce n’est qu’en 1977 qu’est effectué le premier vol commercial entre la Réunion et l’île, alors que les liaisons sont coupées avec le reste des Comores et Madagascar, hostiles à son maintien dans la République française. Un Hawker Siddeley 748 assure la liaison trois fois par semaine, soit une centaine de sièges offerts hebdomadairement. L’essentiel de la clientèle est constitué d’hommes d’affaires, de fonctionnaires et de responsables politiques. Il ne reste que peu de sièges pour les touristes éventuels et ce n’est pas la mise en service d’un Fokker 28 de 50 places en 1988 qui améliora sensiblement l’accessibilité de Mayotte.

La naissance d’Air Austral[9] en 1990 et la mise en service de son premier Boeing 737 vont réduire l’enclavement, en dépit d’une piste trop courte qui empêche d’utiliser cet appareil à pleine charge. Les travaux d’allongement durèrent deux ans et ce n’est qu’en 1995 que les appareils d’Air Austral purent être utilisés d’une manière optimale. En 1998, huit vols par semaine relient la Réunion à Mayotte, liaison aérienne de service public. En une décennie l’offre en sièges a plus que décuplé. Cependant, le prix du billet reste élevé, malgré les baisses successives - de l’ordre de 2 500 FRF l’aller-retour -, et la longueur de la nouvelle piste de Pamandzi (1 850 m) ne permet pas la venue d’avions long-courriers. Ainsi, l’obligation de transiter par Saint-Denis[10] lorsqu’on vient de métropole renchérit considérablement le prix du voyage, ce qui est une entrave majeure au développement touristique. Nombreux sont les Mahorais et les professionnels du tourisme critiquant la politique tarifaire d’Air Austral et souhaitant une libéralisation de la desserte aérienne de Mayotte.

4. Le développement des croisières ou la valorisation de la situation

4.1. Une île parmi d’autres

À la différence de la Réunion ou de Maurice, Mayotte est à proximité d’autres îles et d’abord du reste de l’archipel comorien (carte 2): Anjouan n’est qu’à une soixantaine de kilomètres; Mohéli à 150 km environ et la Grande Comore à 200 km. De surcroît, l’île malgache de Nosy Be n’est qu’à 300 km. Des espacements très favorables aux croisières, car les traversées peuvent être effectuées en une seule nuit. Au-delà de ce périmètre, il existe des îles fameuses, telles que Zanzibar ou les Seychelles, qu’on atteint après un à deux jours de mer. Un tel environnement constitue indéniablement un atout de premier ordre pour Mayotte, mais il existe beaucoup d’obstacles au développement des croisières.

4.2. Une activité peu favorisée

Le développement des croisières est aujourd’hui très spectaculaire à travers le monde. L’océan Indien n’y échappe pas avec une augmentation de 30 % du nombre de croisières en 1996. Durban, en Afrique du Sud, est en train de devenir un port d’attache de première importance pour ce genre de navires. Le nombre d’escales de paquebots à Mayotte est passé de 8 en 1990 à 52 en 1996, et le nombre de croisiéristes de 1 656 à 8 528 (graphique 2).

Il s’agit de bâtiments de taille moyenne qui, étant devenus trop petits pour répondre à la demande dans les Caraïbes, sont affectés partiellement ou presque exclusivement dans l’océan Indien. La saisonnalité de cette activité (graphique 3) s’explique par le transfert à certains moments de l’année de paquebots en mer Méditerranée, devenue complémentaire de l’océan Indien. Ainsi, de mai à septembre les bateaux de croisières quittent l’océan Indien pour la Méditerranée qui devient à ce moment-là la deuxième zone de croisières du monde.

C’est le Royal Star, de la compagnie Starline, qui mouille le plus souvent dans les eaux mahoraises. Basé à Mombasa, il effectue deux types de croisières (carte 2):

Lorsque ce petit paquebot est dans l’océan Indien, il passe en moyenne une fois par semaine à Mayotte. Ses escales sont courtes, de 8 heures du matin à 16 heures. D’autres paquebots plus grands viennent épisodiquement. C’est le cas du Symphonie, de l’Europa ou du Mermoz, dont les capacités sont de l’ordre du demi-millier de passagers.

Les retombées financières sont loin d’être négligeables. Le chiffre d’affaires global généré par les croisières est évalué à environ 2,3 millions de FRF, contre 1,5 million pour le tourisme dit «classique». Or, le moins que l’on puisse dire c’est que cette activité est loin d’être privilégiée et exploitée pleinement. Les paquebots restent au mouillage entre Petite-Terre et Grande-Terre (carte 1), car le port de Longoni est occupé par des bateaux de commerce. De surcroît, les droits de port, calculés sur le volume des navires, sont prohibitifs par rapport aux autres ports de la zone, de l’ordre de 40 000 FRF par jour. Toutefois, avant que les compagnies n’abandonnent Mayotte, une réforme prochaine devrait les plafonner à 15 000 FRF. Il n’existe toujours pas de stands à Mamoudzou pour vendre de l’artisanat, ni de bureaux de change.

Pourtant, les croisiéristes fréquentant l’île sont prêt à y dépenser beaucoup plus que les 150 FRF actuels par personne. Âgés de 60 ans en moyenne, ils ont un fort pouvoir d’achat: on compte 47 % d’Allemands, 12 % d’Étatsuniens, 11 % de Britanniques, 9 % de Sud-Africains, 8 % d’Autrichiens ainsi que 3 % de Suisses et de Français. Plus des deux tiers d’entre eux ont participé à des excursions, car souvent incluses dans le prix de la croisière. C’est d’ailleurs les agences réceptives, telles que Mayotte aventures tropicales, qui bénéficient des retombées les plus importantes. Les bus scolaires et les taxis brousse sont alors utilisés pour transporter ces visiteurs pressés, charmés par les paysages, mais déçus par les possibilités de shopping.

 5. Une mise en valeur incomplète et très inégalitaire du territoire

 5.1. Des prestations réduites

Selon la Direction du travail et de l’emploi, le tourisme n’occupait en 1992 que 7 % des salariés recensés. Outre la modestie de l’hôtellerie, cette faiblesse est aussi le reflet de la médiocrité des prestations. Il existe très peu de professionnels proposant des activités touristiques. Alors que le lagon est vaste et sûr, il n’existe pas de bateaux à fond de verre et très peu de plages sont aménagées. Il est vrai qu’une grande partie de la côte de la Grande-Terre est peu accueillante avec des mangroves, des plages terreuses et un marnage sensible qui ne facilite pas sa valorisation. Un projet pédagogico-touristique, la Maison de la mer, sommeille depuis des années. Composée d’aquariums et de bassins, elle devrait constituer une structure de première importance pour les touristes et surtout les croisiéristes avec des boutiques d’artisanat. Les sites fréquentés sont peu nombreux.

5.2. La primauté du lagon

C’est dans le sud-est de l’île qu’on trouve le secteur le plus visité avec l’Îlot de Sable Blanc (Mtsanga Tsoholé), et la pointe Sazilé encadrée par les plages Mtsanga Kombo Bato et Mtsanga Sazilé, lieu de ponte des tortues de mer au pied des baobabs (carte 1). Les villages de pêcheurs environnants, comme Nyambadao, en bénéficient, car les professionnels ou les particuliers font appel à leurs services pour les amener sur ces plages peu accessibles ou sur l’Îlot de Sable Blanc. Les jours de pointe, un véritable ballet de barques à moteur s’organise entre le village, l’îlot et les plages. Les retombées financières sont loin d’être négligeables pour ces pêcheurs qui s’improvisent transporteurs. Avec la plage de Ngouja et le site du mont Choungui (594 m), difficile à gravir mais qui offre un panorama exceptionnel sur la partie méridionale du lagon avec ses nombreuses baies, s’ébauche un ensemble qui connaît une certaine fréquentation, perceptible à la création de quelques buvettes. Dans le Nord, les Îles Choazil sont la principale attraction avec Petite-Terre, dont les sites sont facilement accessibles, tels que le lac de cratère (Dziani Dzaha) et les plages de Moya.

De nombreux touristes d’agrément louent une automobile un jour ou deux et empruntent les routes qui longent la côte. L’intérieur de l’île est beaucoup moins visité, le patrimoine culturel et historique est occulté, lors même qu’il existe peu de monuments; ainsi de l’époque de la canne à sucre il ne reste que quelques vestiges de la sucrerie. La randonnée pédestre est peu pratiquée, car il y a un gros effort à faire dans le domaine de l’information et du balisage qui permettraient de mieux découvrir une végétation luxuriante et une faune endémique, telle que le petit lémurien appelé maki ou komba en shimaoré (lemur fulvus mayottensis).

Conclusion

Mayotte n’est pas encore un espace touristique. Le chemin est encore long avant qu’elle ne le devienne. Pourtant, les pouvoirs publics locaux ont mis en œuvre une politique d’aides directes, dont le dessein est de favoriser la modernisation et l’extension des hôtels. De plus, des dispositions fiscales d’incitation existent. La souveraineté de la Collectivité territoriale dans ce domaine n’écarte pas Mayotte du bénéfice de la loi Pons. Ainsi plusieurs mesures d’exonération et de défiscalisation sont censées soutenir le développement touristique. La médiocrité de leurs résultats peut s’expliquer par les problèmes d’accès, par l’ignorance de son existence et aussi en raison des incertitudes pesant sur son avenir politique. En effet, il existe toujours un grave contentieux entre les Comores et la France à son sujet. Pour les responsables politiques locaux, la réforme statutaire doit permettre d’ancrer définitivement l’île à la République française, Mayotte devenant un «DOM différencié».

Le statu quo touristique est aussi dû au problème foncier, avec de grandes difficultés pour  connaître les propriétaires des terrains en l’absence de cadastre, et à l’action des groupes de pression composés de professionnels locaux ayant pignon sur rue et qui bloquent l’arrivée d’acteurs extérieurs. En cela, ils se conforment à l’adage disant qu’il vaut mieux être le premier au village que le second à la ville. Dans ces conditions, parler déjà de «développement sélectif du tourisme» ou faire venir des experts pour étudier les possibilités d’essor d’un «tourisme vert» doit être considéré comme une manœuvre de diversion tant ces perspectives apparaissent peu réalistes.

Bibliographie

Air Austral, documents divers.

Aviation civile de Mayotte, documents divers.

Canaguy P., 1997, «Mayotte dans la spirale du développement», Économie de la Réunion, n° 90, p. 18-20.

Capitainerie du port de Longoni, documents divers.

Comité du tourisme de Mayotte, documents divers.

Direction de l’aménagement et du développement de Mayotte, 1997, Le Tourisme à Mayotte. Fréquentation touristique juillet 1996-juillet 1997, 9 p.

Fontaine G., 1995, Mayotte, Paris: Karthala, 197 p.

Gay J.-Ch., 1998, «Mayotte à l’aube du XXIe siècle», Mappemonde, à paraître.

Gohin O. et Maurice P. (dir.), 1992, Mayotte, Saint-Denis: université de la Réunion, 369 p.

Institut d’émission d’outre-mer, 1993, Le Tourisme dans les Dom-Tom, Paris, IEOM, 550 p.

Institut d’émission d’outre-mer, 1997, Mayotte en 1996, Paris, IEOM, 85 p.

Koechlin J. et Boye M., 1984, «Mayotte: bilan écologique, possibilités de développement, programme d’études» in Nature et hommes dans les îles tropicales, coll. Îles et archipels, n° 3, p. 147-161.

Kwézi (hebdomadaire d’information générale de Mayotte), articles divers.

Rallu J.-L., 1997, «Mayotte à la veille d’un nouveau recensement», Population, n° 3, p. 729-740.

Score International, 1996, Schéma de développement touristique de Mayotte en l’an 2000, 83 p.


[1] Cf. IEOM, 1993, p. 405 sq.

[2] Des problèmes équivalents se posent pour les statistiques rodiguaises. Cf. notre travail: «La dynamique du tourisme rodriguais», Actes des Journées de géographie tropicale 1997 de Brest, à paraître.

[3] Toutefois, à l’échelle des îles elle n’est pas la plus mal placée; Anjouan ou Mohéli pour les Comores, Agalega ou Saint-Brandon pour Maurice et de nombreuses îles seychelloises étant encore moins fréquentées, voire pas fréquentées du tout. Parmi les destinations insulaires tropicales hors de l’océan Indien, elle offre des similitudes uniquement avec les îles Salomon, le royaume de Tonga ou le Samoa américain dans le Pacifique.  

[4] Cf. KNAFOU R. et al., 1997, Tourisme et loisirs, coll. Atlas de France, vol. 7, Paris-Montpellier, La Documentation française-Reclus, 126 p., p. 26.

[5] Cf. KNAFOU R. et al., 1997, «Une approche géographique du tourisme», L’Espace géographique, n° 3, p. 193-204.

[6] Le lagon néo-calédonien est plus de 15 fois plus grand que le lagon mahorais, sans parler du lagon australien protégé par la Grande Barrière!

[7] Cf. ROGER A., 1997, Court traité du paysage, Paris, Gallimard, 203 p., p. 98.

[8] Cf. DEPREST F., 1997, Enquête sur le tourisme de masse, Paris, Belin, 207 p.

[9] Il s’agit d’une société dont le capital est réparti entre Air France, des organismes financiers et la SEMATRA, société d’économie mixte à laquelle adhère des collectivités locales réunionnaises et la Chambre professionnelle de Mayotte. 

[10] Il est certains jours possible de transiter par Nairobi ou les Seychelles, mais le pirx du billet reste très élevé.